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ATHÈNES SOUS LE ROI OTHON.

image, quand je m’aperçus que j’étais entré dans la nouvelle Athènes. Je traversais une rue, bordée des deux côtés de décombres et de masures, dont le sol inégal n’est point pavé, dont le milieu est occupé par un palmier, débris solitaire d’une végétation asiatique, qui semble égaré là parmi des ruines, et dont la cime à demi desséchée annonce la tempête qui l’a frappée. Un peu plus haut, cette rue, mal alignée entre deux files de baraques, aboutit à une église, restée pareillement isolée sur le sol qu’elle occupe au milieu de la chaussée ; après quoi, la rue, redressée et pavée par intervalles, continue en s’élevant, toujours entre des décombres alternant avec des masures, jusqu’à un plateau dont une immense bâtisse, construite jusqu’au premier étage, remplit tout le développement. Cette bâtisse interrompue offre aussi l’aspect d’une ruine, avec les proportions d’un palais. Que vous dirai-je enfin, mon cher ami ? Cette rue que je viens de parcourir, et qui est à peine ébauchée, est la principale rue d’Athènes ; et ce bâtiment, qui semble ruiné avant d’être achevé, est le palais du roi. Vous avez déjà, si je ne me trompe, une idée de la nouvelle Athènes. C’est une ville où il n’y a pas encore une rue, et où l’on a commencé par construire un palais, image assez fidèle d’un pays où l’on a d’abord fait un roi, avant de s’être assuré qu’il y eût un peuple.

J’ai parcouru dans tous les sens la nouvelle Athènes, et j’ai trouvé partout le même spectacle. Une autre rue principale, qui coupe la première à un angle à peu près droit, et qui se dirige, du pied de l’Acropole au sommet du Céramique, deux noms antiques que je vous demande pardon d’employer pour ces lieux modernes, cette rue, sans alignement, sans pavé, avec des maisons qui se construisent à côté de décombres, avec un café en face d’une église, avec un mélange de tous les styles, qui confond toutes les époques et se sert de tous les matériaux ; cette rue tombe déjà en ruine, à l’une de ses extrémités, avant d’être arrivée à l’autre. Il en est à peu près de même de tout le reste. Au centre de la cité, là où il est demeuré quelques pans de vieux murs debout sur des tas de démolitions informes, on s’est hâté d’élever de nouvelles maisons, sans avoir pris la peine de déblayer le sol, sans se servir même des matériaux qu’on avait sous la main ; il est résulté de là que chaque habitation neuve est flanquée d’une caverne ou d’un abîme. On marche, au lieu de rues, sur des amas de terre où des fûts de colonnes, des morceaux d’architraves, des pièces de marbre confusément entassées, attestent une longue série de dévastations, dont ces maisons nouvelles, aussi mal assises que mal bâties, ne tarderont pas à exhausser la masse. C’est partout l’image de la destruction à côté de l’activité ; c’est un chaos où le vieux et le nouveau sont partout mêlés ensemble, où le grec et le moderne sont penchés sur le gothique et le byzantin, et où malheureusement ce qui est construit aujourd’hui participe de la fragilité de ce qui est tombé hier. En un mot, dans cette pauvre ville, tout est ébauché et caduc ; et ce qu’il y a de pis pour les auteurs et les hôtes de ces constructions misérables, c’est qu’en bâtissant pour leur usage des maisons qui doivent durer si peu, ils donnent l’idée d’une société politique qui n’a pas d’avenir, et qui en a la