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sans foi, la bourgeoisie et les communes ; et pendant que Warwick faisait et défaisait les rois au gré de ses ambitions et de ses jalousies, les peuples subissaient avec effroi, mais sans résistance, ces pouvoirs d’un moment qui avaient tant de vengeances à satisfaire, tant de cupidités à gorger.

Si dans les luttes précédentes on avait combattu pour des intérêts collectifs, parfaitement distincts et définis, il devint impossible, durant les longues querelles entre les maisons d’York et de Lancastre, d’expliquer, autrement que par des inspirations égoïstes, l’attitude et la conduite de chacun. Il y eut alors des factions plutôt que des partis, et c’est là ce qui démoralise profondément un pays ; c’est là ce qui enlève aux caractères individuels toute dignité, aux nations tout avenir.

Il est des révolutions stériles comme il en est de fécondes ; et au milieu de ces longues dissensions, qui corrompent lorsqu’elles ne régénèrent pas, l’Angleterre perdit sa vieille foi politique au lieu de la retremper.

L’aristocratie, divisée entre les deux familles rivales, ne conserva plus cette unité qui, pendant trois siècles, l’avait rendue formidable. Ses plus illustres têtes roulèrent sur l’échafaud, et le sang des conquérans fut comme épuisé à sa source. En place d’une foule de grandes familles éteintes ou ruinées par les confiscations, nombre d’hommes nouveaux abordèrent les affaires, cherchant dans le pouvoir absolu de la couronne un abri pour leur récente fortune. Le despotisme fut universellement invoqué comme une espérance, et la sécurité fut estimée le plus grand, parce qu’elle était devenue le plus rare de tous les biens.

Lorsque la bataille de Bosworth et la lassitude générale eurent définitivement assuré la victoire de Henri de Lancastre, ce prince qui, par son mariage avec la fille d’Edouard IV, réunissait enfin dans sa personne les droits des deux maisons ennemies, se trouva en mesure d’étendre, sans résistance et presque sans limite, l’action légale de la royauté.

Le despotisme sous lequel se courba l’Angleterre, durant les règnes des deux Henri et d’Élisabeth, offre, en effet, un caractère tout particulier auquel l’épithète de despotisme légal semble seule convenir. Les légistes dont Henri VII sut faire les instrumens de ses vengeances aussi bien que de son avarice, combinèrent d’une inextricable façon l’oppression avec la loi. Aucun assassinat juridique ne manqua