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L’ANGLETERRE DEPUIS LA RÉFORME.

assez régulièrement défini ; mais, quoiqu’elle ne manque pas d’importance, on sent pourtant que la chambre basse ne représente encore aucun intérêt puissant et distinct. Son opposition se produit presque toujours derrière celle des barons, auxquels appartient l’initiative exclusive de tous les grands changemens politiques.

Mais ici s’arrête tout à coup le mouvement jusqu’alors ascensionnel de la liberté parlementaire. De longs jours d’anarchie succèdent, et, au sortir de cette terreur de soixante années, l’Angleterre implore le despotisme. Son code politique à la main, elle se rue avec joie dans une sorte de servitude légale qui, comme on a pu le dire avec vérité, n’a d’exemple que dans l’attitude du sénat romain devant Tibère. Et ce prodigieux changement se consomme, remarquons-le, non par la tyrannie d’un homme, accident passager dans la vie des peuples, mais par l’adhésion de la nation tout entière, par l’abjection sans exemple d’une noblesse naguère si turbulente, par la prostitution d’un clergé auquel on jette des femmes pour étouffer ses remords, enfin par la proclamation solennelle de doctrines politiques que les affranchis des Césars auraient enviées aux conseillers des Tudors !

Comment s’opéra un tel mouvement ? comment s’explique cette longue éclipse du génie politique de la Grande-Bretagne ?

La liberté est un fruit d’une culture difficile que trop de calme empêche de naître, et que trop d’agitation fait tomber. Les luttes séculaires livrées à la royauté par une aristocratie compacte dans ses résistances, semblaient avoir préparé ce pays pour une constitution forte et virile. Mais, durant les guerres des deux roses, l’Angleterre devint un vaste champ de carnage. Tous les intérêts se divisèrent comme toutes les forces sociales, et, comme il arrive aux jours d’anarchie, chacun, s’isolant au sein de la terreur générale, ne songea plus qu’à sauver sa tête. Des princes passèrent du trône dans la prison, pour remonter de la prison sur le trône ; et les parlemens réunis pour sanctionner, sous les menaces de la soldatesque, ces victoires éphémères, prévoyant le compte terrible qu’ils auraient bientôt à rendre à une autre faction, n’aspiraient qu’à diminuer leur responsabilité directe au milieu de ces chances incertaines. Se soustraire à un impeachment, se dérober à un bill d’attainder, telle devint la préoccupation presque exclusive de quiconque était condamné à paraître sur cette scène dévorante. Les grands, divisés de parti, entraînaient, dans les variations soudaines d’une politique sans noblesse et