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Perse, il y a toujours, pour amener le dénouement, un courrier arrêté ou quelque autre incident du même genre qui met fin au mensonge de la situation diplomatique, et démasque la situation réelle. Il n’en faut pas davantage ailleurs pour mettre l’Europe en feu ; mais ce n’est pas une raison de croire que l’incendie doive éclater demain.


P. S. Je crains, monsieur, que l’alliance anglaise ne soit pas à Constantinople une vérité bien vraie. On m’assure, d’après des renseignemens dignes de foi, que l’Angleterre a très lestement pris son parti dans l’affaire du traité de commerce avec la Turquie, et qu’elle est décidée à le faire exécuter, de gré ou de force, dans toute l’étendue de l’empire ottoman, c’est-à-dire en Égypte et en Syrie. C’est un changement de front que ne permettait pas de prévoir, aussi subit et aussi complet, l’état de ses relations politiques avec Méhémet-Ali. La France ne peut suivre son alliée dans cette voie. Méhémet-Ali, de son côté, est fermement résolu à résister. Ce coup inattendu, loin de l’abattre, semble lui avoir rendu toute l’ardeur de sa jeunesse et toute l’énergie de son caractère. Il ne cédera qu’à la dernière extrémité. Ce vieux Turc peut aujourd’hui, d’un seul mot, par un ordre de marche adressé à son fils, allumer une guerre générale. Si l’armée d’Ibrahim-Pacha franchissait le Taurus et marchait sur Constantinople, le sultan, effrayé, se jetterait dans les bras de la Russie, et alors se manifesterait cette impossibilité morale d’une guerre faite en commun au même ennemi par la Russie et l’Angleterre. La situation se rétablirait bientôt dans toute sa vérité ; l’Europe se partagerait en deux camps, et l’Angleterre ne se rangerait certainement pas sous le même drapeau que la Russie. La prévision de ces graves éventualités agite, en ce moment, les esprits dans la sphère la plus élevée du monde politique. Il est à désirer, il est possible qu’elles ne se réalisent point. Mais quand la paix du continent tient à un fil, c’est une singulière imprudence que d’y toucher. Je le répète, on aura détruit le statu quo en Orient le jour où l’on attaquera l’indépendance administrative de Méhémet-Ali, dans l’étendue de ses gouvernemens : dès-lors tout sera remis à la décision de la force, et je ne sache pas d’intelligence humaine qui puisse en mesurer les suites.


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F. Buloz.