Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/141

Cette page a été validée par deux contributeurs.
137
REVUE. — CHRONIQUE.

cherche maintenant à l’inquiéter, à changer toutes les bases de sa situation, à ruiner, par un traité de commerce signé à Constantinople par lord Ponsonby, tous ses moyens d’administration, toutes les conditions de sa puissance, tous les élémens de sa force. Et ce n’est pas insidieusement, par des voies clandestines, que l’on marche à ce but : on le proclame hautement. La reprise des négociations, suspendues depuis long-temps, la rapidité de leur marche, leur prompt dénouement, leur succès inespéré, tout s’explique ; on a voulu ruiner Méhémet-Ali. Le recours à la force ouverte ne présentait pas de chances certaines. Par un article d’un traité de commerce qui intéresse les négocians de deux grandes puissances, d’un trait de plume, par la suppression des monopoles dans toute l’étendue de l’empire ottoman, on se venge enfin du pacha d’Égypte, on rétablit dans son intégrité la souveraineté de la Porte, on croit anéantir et détrôner le futur souverain de Damas et du Caire !

Tel est donc le résultat que poursuivraient maintenant d’un commun accord, en apparence au moins, cinq des grandes puissances de l’Europe, la Turquie, l’Autriche, l’Angleterre, la Russie et la France. Telle est l’œuvre glorieuse à l’accomplissement de laquelle se consacreraient ensemble des efforts qui ne peuvent avoir le même mobile, parce que les gouvernemens dont ils émaneraient ne peuvent avoir et n’ont certainement pas les mêmes intérêts ! Examinons. La Turquie a reçu du pacha d’Égypte, en 1833, une injure qu’elle ne lui pardonnera jamais. Elle a été forcée de lui céder la Syrie, et, depuis cette époque, tout son pouvoir au-delà du Taurus se réduit à une souveraineté nominale, à un droit de suzeraineté fort équivoque, dont le dernier signe est un faible tribut, irrégulièrement payé. Le sultan Mahmoud a donc voué à Méhémet-Ali une de ces haines orientales qui savent dissimuler, mais qui ne s’éteignent pas, une haine patiente et toujours éveillée, qui atteint son objet au bout de quinze, de vingt ans, comme celle dont les janissaires ont été victimes. Il est possible qu’en supprimant les monopoles dans son empire, le sultan ait cru bien faire pour la prospérité de ses peuples et la régénération de la Turquie ; mais, à coup sûr, il s’est encore préoccupé davantage des embarras que cette mesure allait causer à son ennemi. Ce qui l’a le plus frappé dans cette réforme, c’est le parti qu’il en pourrait tirer, pour armer contre Méhémet-Ali des intérêts puissans, que celui-ci croyait avoir attachés à sa cause. Il s’est dit que si l’Angleterre et la France, leur nouveau traité à la main, exigeaient en Égypte l’abolition des monopoles, le vice-roi dont le système d’administration et de finances repose tout entier sur le monopole, se verrait forcé de réduire le nombre de ses troupes, de désarmer sa flotte, de suspendre les travaux de son arsenal, d’interrompre partout et en tout l’exécution de ses vastes projets. Alors on pourrait de Constantinople rallumer le feu peut-être mal éteint de l’insurrection des Druses, faire assister en secret par le pacha de Bagdad les tribus qui soutiennent la guerre en Arabie, préparer et entrevoir dans un avenir assez rapproché la ruine de cette puissance, que Méhémet-Ali a péniblement fondée, il