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LA SICILE.

quelques maisons fermées et évidemment abandonnées, il eût été difficile de croire que le désespoir et la mort régnaient, peu de jours avant, dans cette active et riante cité. Nous avions peine à nous frayer un passage à travers la foule ; à chaque pas, les aquajoli et les marchands ambulans nous barraient le passage ; des groupes d’oisifs rassemblés à la porte des cafés, des processions, des patrouilles de soldats napolitains, augmentaient encore les difficultés de notre route. La curiosité et l’intérêt nous arrêtaient aussi, de nous-mêmes, à chaque moment. Les palais de Gênes, de Florence et de Naples, ne peuvent, en effet, donner aucune idée de ceux de Palerme, surtout des palais de la rue du Cassaro. Dans cette rue, les palais se composent de trois parties bien distinctes et tout-à-fait indépendantes l’une de l’autre. Ces grands édifices sont bâtis à l’espagnole. Une immense porte, garnie d’un perron de marbre et de colonnes, surmontée d’un cintre rompu par le milieu, dont l’interruption se combine avec les ornemens de la façade ; de larges pilastres chargés d’arabesques s’élevant jusqu’au sommet du frontispice, semé de niches où se dressent, dans leurs armures, les statues des ancêtres ; des écussons massifs en marbre orné de dorures : tel est le style général de ces palais. La partie inférieure est abandonnée à des marchands par leurs nobles et souvent très pauvres propriétaires ; elle se compose de deux étages de boutiques ou d’ateliers tout ouverts ; et, pour peu que la curiosité vous arrête à quelques pas, vous assistez à tous les actes de la vie privée des honnêtes familles qui les habitent. Cette vie-là n’est murée qu’à l’étage supérieur, et elle devient de plus en plus mystérieuse à mesure qu’on s’élève vers le faîte de la maison. Au grand étage, au bel étage, en effet, vit la noblesse sicilienne, dans de vastes appartemens somptueux et délabrés, au sein du luxe déjà bien effacé de ses pères, et au milieu de vieux serviteurs peu et mal payés. Quelquefois, les fenêtres profondes de cette partie de l’habitation restent ouvertes, et le vent fait flotter les épaisses draperies de soie qui les défendent contre le jour ; mais l’étage supérieur est un sombre asile d’où rien ne transpire au dehors. Il se compose, en général, d’un immense balcon de pierre en saillie, pesamment sculpté, qui s’avance comme une sorte de conque d’une forme à peu près semblable au ventre d’une galère de l’époque de Louis XIV ; et cette ressemblance est souvent d’autant plus grande que plusieurs de ces balcons sont peints à fresque et dorés. Une énorme grille de fer, en forme de voûte et compliquée d’un épais grillage, souvent encore de plantes saxatiles et de fleurs grimpantes,