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On croît peut-être que nous exagérons en tirant ces conséquences du langage des journaux de l’opposition ; mais ces conséquences en sont, au contraire, la déduction exacte et logique. Nous n’inventons pas les paroles qui suivent : « Le prince Louis Napoléon consent à quitter la Suisse. Il a pris en pitié les tracasseries incessantes dont il était l’objet, il a pris en pitié les tribulations du gouvernement français, qui, du rang obscur d’héritier peu connu d’un nom illustre, l’a élevé, aux yeux de l’Europe, au rang éminent de prétendant au trône de France… Très certainement, il ne lui sera pas difficile de trouver un asile. Le haut rang qu’on lui fait prendre en Europe lui rendra tous les arrangemens faciles. Il n’y a qu’une raison qui puisse diminuer les terreurs du gouvernement français, quel que soit le lieu où se retire le prince Louis, c’est que probablement il ne se prêterait pas à servir d’instrument à des combinaisons hostiles à la France, quoi que le gouvernement français l’ait traité avec tant d’indignité. Maintenant, grâce à la modération et à la générosité d’un jeune homme, le gouvernement de Louis-Philippe vient d’obtenir un magnifique triomphe. »

On le voit, c’est à la générosité de M. Louis Bonaparte que la France doit le repos dont elle jouit, et cette générosité va si loin, que le Courrier Français, dont nous venons de citer les paroles, veut bien promettre, en son nom, qu’il ne se prêtera pas à servir d’instrument à des combinaisons hostiles à la France, quoique le gouvernement français l’ait traité avec tant d’indignité. On sait en quoi consiste cette indignité. Le jeune Louis Bonaparte, pris les armes à la main dans une tentative flagrante de renversement du gouvernement, et qui s’était placé lui-même sous le double coup de la loi relative aux membres de sa famille et de la législation ordinaire du Code pénal, le jeune Louis Bonaparte a été renvoyé sain et sauf loin d’un pays où il avait encouru la peine capitale. Il a été rendu aux larmes d’une mère, et le premier usage qu’il a fait de la liberté, disons mieux, de la vie qui lui a été si généreusement accordée, ç’a été de machiner de nouveau contre le gouvernement qui lui a fait grâce ! Voilà pourtant la modération et la générosité du jeune homme que vante le Courrier Français, et devant lequel le Siècle et d’autres feuilles de même couleur s’agenouillent d’admiration ! M. Louis Bonaparte n’est cependant pas un républicain, ni même un partisan du suffrage universel ; c’est tout simplement un prétendant sans titres, qui vient, du vivant même de ses ascendans, réclamer le trône impérial, tombé de son propre poids sous l’indifférence et l’abandon d’une nation lasse du despotisme, et qui n’apporte avec lui que les constitutions de l’empire avec l’acte additionnel, mais surtout le régime éminemment libéral du gouvernement militaire. Il n’importe ; ainsi que le suffrage universel, que demande toute l’opposition sans vouloir l’obtenir, c’est un embarras suscité au gouvernement, et l’opposition s’en empare. Un journal ne dit-il pas aujourd’hui que nos soldats refuseraient de marcher contre les bons Suisses, qui ne leur ont rien fait ! « Jamais on ne pourra forcer nos soldats à décharger leurs fusils sur ces bons montagnards nos amis ! Jamais notre cabinet n’osera mettre l’armée à une