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vieille qu’on salue en passant, le bêlement monotone des troupeaux qui reviennent du pâturage, tous les bruits de la plaine et du bois, tous les frémissemens de la montagne, toutes les rumeurs du torrent, toutes les harmonies de la nature ! La campagne de Rome, les Abruzzes, les horizons immenses, les splendides couchers du soleil, quelle musique il y a dans ces sources sonores et fécondes où ni Mozart ni Cimarosa n’ont jamais puisé !

La marche des pèlerins, dans la symphonie d’Harold, se distingue par une certaine curiosité de facture dont, jusque-là, M. Berlioz n’avait pas donné de preuves. Le motif qui lui sert de thème, heureusement trouvé, passe, avec une variété qu’on aime, d’un groupe d’instrumens à l’autre et se transforme de la plus aimable manière à travers toutes sortes de combinaisons ingénieuses. Cette phrase principale qui, après avoir fourni sa carrière sonore, disparaît d’un côté pour renaître de l’autre, relevée de quelque ornement nouveau, ce point lumineux qui se montre à l’orient, tandis que vous cherchiez à le surprendre au couchant sous la ligne d’or où il vient de s’abîmer, tout cela est charmant, merveilleux, subtil, plein de délicatesse, de goût et de distinction ; tout cela tient l’esprit attentif et l’intérêt en émoi. Il est vrai de dire qu’ici l’originalité de la forme n’éclate guère plus que dans la Marche au supplice. Tantôt c’est le magnifique effet de progression qui se rencontre dans la symphonie en ut mineur qui préoccupait M. Berlioz ; maintenant ce sont les artifices si adroitement ménagés de la symphonie en la qui tentent son esprit. Mais qu’importe après tout ? M. Berlioz n’a point, sans doute, la prétention d’avoir inventé la symphonie moderne ; il laisse cet honneur à qui de droit. Son intention, en écrivant la Symphonie fantastique et Harold, n’était-elle pas de verser toutes les idées qui ont pu lui venir de ses heures de fièvre ardente et de mélancolie au bord du lac, comme aussi de ses impressions de voyages, dans la forme gigantesque et sublime que Beethoven a pétrie de ses mains de Titan. Laissez M. Berlioz répandre à loisir le métal de sa pensée dans le creuset de Beethoven, si vous voulez que la fusion s’accomplisse à souhait. Ce qui ruine les idées de M. Berlioz, c’est la forme inouie qu’il se plaît à leur donner ; ce qui fait de son or le plus pur un alliage bizarre qui n’a cours dans aucun pays, c’est le moule vraiment singulier où il lui convient de le répandre. Que M. Berlioz prenne la forme de Beethoven, qu’il la garde long-temps, sans cesse, la sienne tiendra toujours assez tôt avec les Rêves des nuits du sabbat et les Orgies de