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et sonore, qui s’épanchent à travers les belles campagnes de la terre, et vont à l’océan sans confondre leurs eaux. Cependant les choses ont leur fin : Beethoven meurt, ensuite Weber ; Rossini reste seul, chante Guillaume Tell puis se tait, contemplant à loisir ce qui se passe au-dessous de lui. Alors les antiques haines se réveillent ; la discorde, que les maîtres étouffaient dans leur sein, s’empare des imitateurs : on se divise, on s’acharne à la lutte. Sur ces entrefaites grandit dans l’étude et la persévérance un génie conciliateur entre tous, qui tient à l’Italie par les caprices de sa pensée mélodieuse, à l’Allemagne par la forme austère et profonde dont il la couvre, qui, dès vingt ans, aspirait, comme Mignon, vers le pays où les citronniers fleurissent, et depuis est revenu s’asseoir sous le vieux chêne de Beethoven et de Gœthe ; or, cet homme élève entre les deux partis son édifice glorieux. On hésite, on discute, on admire : cependant, entre l’Italie et l’Allemagne, le compromis est impossible ; il faut que chaque muse garde jusqu’à la fin la beauté native qui la décore : le pacte, à moitié conclu, se déchire, et la querelle s’engage de nouveau, grâce à quelques esprits inquiets et rebelles, que leur conviction inexorable emporte. De ce nombre est M. Berlioz.

Dès le premier jour, M. Berlioz est entré dans l’art avec les allures farouches d’un jacobin de 93. Caractère impétueux, résolu, superbe, il ne proclame que le génie qu’il a sacré de ses mains ; ce qui reste en dehors du cercle hiéroglyphique tracé par sa baguette de pontife, il le méconnaît ou le raille. C’est ainsi qu’on l’a vu faire bon marché des réputations les plus aimables et les plus charmantes, sous prétexte qu’elles rasent le sol où nous vivons, et flottent dans les vapeurs du crépuscule terrestre, au lieu de grandir jusqu’à l’empyrée sur les ailes d’aigle de Beethoven. Triste erreur que celle-là, intolérance de docteur qui prétend soumettre toute chose à ses théories ! De combien de voluptés ne se prive-t-on pas en pensant de la sorte, et que les ames nombreuses qui savent jouir de la musique sont loin de cette opinion ! Personne plus que nous ne s’incline devant l’autorité divine des grands maîtres. La musique et la poésie seraient deux éternelles veuves, si les noms d’Homère ou de Dante, de Beethoven ou de Weber, devaient disparaître du ciel qu’elles habitent ; mais, parce qu’on rend à ces éblouissans génies l’hommage qu’ils méritent, faut-il donc oublier ces intelligences modestes qui vous livrent tous leurs trésors sans exiger le don de votre enthousiasme, et, loin de vous absorber en leur égoïsme sublime, vous rendent larme pour larme aux heures d’effusion que vous passez dans leur commerce. Pour que tous les