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RENNES
EN 93.[1]

i.

J’étais venu à Rennes pour la première fois en 1790 ; j’avais alors quinze ans, et je fuyais le séminaire où ma famille, qui se donnait des airs de noblesse, m’avait renfermé en qualité de cadet. J’avais vécu là deux pauvres et joyeuses années, gagnant huit sous par jour à copier des rôles de procureurs, couchant dans une mansarde sans cheminée, et n’ayant, en toute saison, qu’un frac de ratine, une culotte de bouracan, deux paires de bas chinés et trois chemises, dont une seule avait conservé son jabot. Je m’étais trouvé exposé depuis ce temps à des chances bien diverses : ma destinée avait flotté à tous vents, parfois paisible, mais le plus souvent menacée, et voguant, comme disent les marins, sous ses voiles de fortune. À l’exemple de tous les jeunes gens, j’avais passé par cette époque où l’ame a des ailes ; mais j’avais, depuis long-temps, laissé toutes mes plumes aux buissons, et, dégoûté de mon rôle d’Icare, je m’étais résigné à marcher droit devant moi, portant la vie sur mes épaules, à la manière des marchands forains.

  1. Ces souvenirs de la terreur en Bretagne, rédigés, par l’auteur, d’après les notes et les entretiens de son père, formeront une série d’articles que la Revue publiera successivement.