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REVUE. — CHRONIQUE.

ques chances pour qu’elles aillent plus mal. Ce qu’il faudrait connaître avant tout, c’est l’opinion du général Espartero sur ce changement de ministère, auquel il a poussé un des premiers, venant en aide à des intrigues de palais qui ne paraissent pas y trouver leur compte, au peu que j’en sais. Je ne vous parle pas des autres ministres, entrans ou sortans ; il y a peut-être parmi eux tel nom qui ne manque pas de valeur à Madrid, et je me rappelle qu’on disait quelque bien des talens et de l’activité de M. Mon, ex-ministre des finances ; mais ils n’ont aucune signification pour nous. Tout ce qu’on en sait le plus souvent, c’est qu’ils sont députés ou sénateurs, et qu’ils ont le courage de se laisser enregistrer pour un jour dans les fastes obscurs de la secrétairerie d’état[1]. Quant à M. de Frias, au moins nous le connaissons. Nous l’avons vu promener ici partout sa joviale figure et l’embonpoint de sa personne, en véritable grand d’Espagne. On l’aimait dans la société, où il se montrait beaucoup, et tout le monde lui accorde de l’esprit ; mais l’esprit ne suffit pas. M. de Frias manque d’autorité ; il n’impose pas, et je ne me fais guère à l’idée d’un premier ministre qui n’ait pas plus grande mine, quoique M. Alcala Galiano soit petit et laid, et que M. Isturitz ne soit ni grand ni beau.

Jusqu’à présent, monsieur, il n’y a pas eu de changement de ministère en Espagne où l’on n’ait accusé, tantôt la France, et tantôt l’Angleterre, d’avoir exercé, par leurs ambassadeurs, une influence décisive. Je ne réponds pas pour sir George Villiers. Tout ce que je sais et puis affirmer, c’est que la France s’est fait un devoir de ne pas intervenir dans ces questions de personnes. Sans doute elle a toujours eu ses prédilections et ses antipathies ; mais elle s’est constamment abstenue d’exercer une action que le ministère formé sous ses auspices aurait ensuite interprétée comme un engagement pris de le soutenir par tous les moyens. Cette fois encore, je m’assure qu’elle n’a pas dérogé à ses principes de non-intervention rigoureuse. M. le duc de Fezenzac en est trop pénétré pour avoir compromis son gouvernement par la moindre démarche en faveur de telle combinaison plutôt que de telle autre. Et d’ailleurs, on vivait en fort bonne intelligence avec M. d’Ofalia. Je doute que M. Villiers eut d’aussi douces relations avec un ministère qui comptait M. Mendizabal au nombre de ses ennemis les plus prononcés. Néanmoins l’influence anglaise est probablement étrangère aussi à ces derniers changemens, qui laissent toujours en dehors du pouvoir le parti auquel l’Angleterre s’est malheureusement attachée. De plus, tout cela s’est passé en l’ab-

  1. La plupart des nouveaux ministres nommés jusqu’à présent ne le sont que par intérim. Celui des finances, M. de Montevirgen, a figuré dans l’opposition que M. Martinez de La Rosa eut à combattre. Quant au ministère de la guerre, qui est le plus important, il serait à désirer que le général Aldama, homme dans la force de l’âge, voulut l’accepter, ce qui est douteux. On pense à le confier au général Tacon, ex-capitaine-général de Cuba, en ce moment à Paris. Tacon a des qualités assez remarquables, et il se distingue par une grande fermeté de caractère. Mais il est un peu usé, et peut-être trop habitué à l’exercice d’une autorité despotique, dont la rigueur ne serait pas aussi convenable à Madrid qu’elle était nécessaire à la Havane.