Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/883

Cette page a été validée par deux contributeurs.
879
REVUE. — CHRONIQUE.

ment un ministère modéré. Ce n’est pas assurément le premier ministère modéré que l’Espagne ait eu depuis le mois d’octobre 1833 ; mais d’abord c’est celui dont le succès parlementaire a été le plus complet et le moins contesté ; et puis, il faut le dire, c’est le seul qui n’ait pas eu à sa tête un homme directement compromis avec les idées libérales, par la proscription et l’exil sous Ferdinand VII. Non que M. d’Ofalia ne soit un homme très honorable, très éclairé, libéral même et sincèrement dévoué à la cause d’Isabelle II. Je l’estime tel, et je crois que tout le monde lui rend cette justice ; mais je veux dire qu’en acceptant et soutenant un ministère présidé par M. d’Ofalia, l’Espagne constitutionnelle, ce pays ou plutôt ce parti si exclusif, si intolérant, si fanatique naguère, a dû faire un terrible effort sur elle-même, pour oublier que le nouveau secrétaire-d’état du despacho avait toujours servi Ferdinand VII, roi absolu, et qu’il avait mis le berceau de la jeune reine sous la protection du despotisme illustré. M. Martinez de la Rosa, M. Isturitz, M. de Toreno, premiers ministres de la constitution de 1837, je ne m’en étonnerais pas ; ils ont été proscrits avant 1820 et après 1823, et leur fortune politique a subi toutes les vicissitudes de la cause libérale. Ne croyez pas cependant que le succès de M. d’Ofalia me fasse éprouver d’autre sentiment que celui de la surprise ; je suis loin de considérer son ministère comme un malheur pour l’Espagne, et j’ai vu, au contraire, dans son retour au pouvoir, le symptôme d’une fusion désirable entre des passés divers, estimables à divers titres, qui ne peuvent et ne doivent plus avoir que le même avenir. Si cette fusion s’accomplissait autour d’un trône heureusement étranger aux ignominies et aux horreurs du passé, l’Europe civilisée verrait avec effroi don Carlos réduit, dans l’hypothèse d’un triomphe invraisemblable, aux Labrador, aux Calomarde, aux Eguia, aux hommes et aux mœurs politiques qui, pendant la plus grande partie du règne de son frère, ont causé tant de dégoûts et donné tant d’embarras à M. de Metternich et à M. de Nesselrode.

D’ailleurs, à n’examiner que les actes du ministère présidé par M. d’Ofalia, il est incontestable que cette administration a rendu de notables services à l’Espagne. On avait essayé, sans succès, de l’exaltation révolutionnaire, des dons patriotiques, des armées de volontaires nationaux ; il n’était résulté de tout cela que beaucoup de bruit, de fumée et de désordre. M. d’Ofalia prit les affaires avec l’intention systématiquement arrêtée de rendre à l’action gouvernementale toute la force que les nouvelles institutions permettraient de lui donner ; il se proposa de rétablir l’ordre, troublé de mille manières, et de restaurer le principe d’autorité, méconnu en bien des points sous le régime de laissez-aller qui avait précédé. Il voulut désarmer les passions individuelles qui avaient joué un si grand rôle dans les commotions de 1835 et de 1836 ; il essaya de rassurer les consciences alarmées sur les tendances irréligieuses que le parti carliste reproche à ses adversaires. Ayant remarqué, avec raison, que tous les mouvemens anarchiques avaient, au moins momentanément, favorisé les progrès de la faction carliste et affaibli d’autant la cause de la reine, il appliqua tous ses soins à en prévenir le retour et surveilla les exaltés