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cédente de l’auteur. Arrivé de l’idée humanitaire à l’idée domestique par une sorte de réaction intérieure, il a été d’abord un peu outré comme on l’est dans toute espèce de réaction. Il s’est, dans son nouveau rôle, posé en adversaire contre son ancienne idée qu’il s’occupe beaucoup trop de combattre face à face pour en être tout-à-fait guéri. Entré dans l’idée de la vie privée, non point par l’humble porte, si l’on peut dire, mais par la brèche, il y a dans sa prise de possession une chaleur de débat et un air de triomphe qui ne disparaîtront qu’avec un peu de long usage. On ne doit plus s’étonner qu’à ce premier jour, monté sur le toit modeste, il y arbore et y agite le drapeau.

Le premier des deux romans, Simiane, est moins animé que le second, et la dissertation y empiète sensiblement. Au commencement du mois de mai 1737, un jeune homme et une jeune femme arrivent à Vevey, dans le canton de Vaud, et là, au bord du beau lac, interrompant leur voyage, ils font choix d’une habitation élégante et rustique ; ils continuent, durant des années, d’y vivre dans l’amour fidèle, dans l’admiration de la nature et l’adoration du créateur. Ce que l’auteur veut prouver, c’est que, par ce dévouement de l’un à l’autre, par ce perfectionnement continuel de leur ame dans la solitude, ils remplissent tout aussi bien leur rôle ici-bas que les autres en se lançant dans l’arène poudreuse et souvent bourbeuse. J’abonde dans cette idée ; seulement, comme les jours des heureux se ressemblent tous et que l’histoire en est plus difficile que celle des malheurs, on trouvera que ce commencement rempli de conversations et d’extases n’a pas, pour le lecteur, la vivacité qu’il eut pour les amans. Il n’est donné qu’à un petit nombre de peintres d’écrire sur ces pages blanches de la vie. Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre l’ont pu ; quelques poètes l’ont fait par un chant lyrique, par un hymne une fois exhalé. L’auteur a, dès le début, le désavantage de se rencontrer trop directement avec Jean-Jacques, avec Byron, dans les descriptions de la même nature. Au milieu d’un remarquable soin d’écrire et de peindre, une certaine précision de ligne et une certaine gloire de couleur lui manquent. Il ne serre pas d’assez près ses contours, il ne jette pas aux objets ou n’en reçoit pas de ces traits de flamme qui fixent l’image et qu’on emporte. Cette extrémité du Léman où il place sa scène d’idylle est, pour la simplicité et la précision du dessin, d’une grandeur tout-à-fait classique. À certains jours sombres de l’hiver, ces montagnes de neige striées de noir font l’effet, à l’œil fidèle qui s’y attache avec lenteur, de la plus austère et de la plus délicate gravure. Qu’elles sont belles ainsi, même sans un seul rayon ! Mais aux jours glorieux, et quand l’éblouissement des mille reflets, déjouant le regard, n’ôte rien pourtant de cette précision éternelle qui les caractérise, comment les saisir. Demandez au peintre de Childe-Harold et de Chillon. À défaut du cadre en lui-même, on peut du moins en montrer les impressions dans l’ame des amans et y suivre, par le sentiment ému, les belles ombres plus flottantes. M. Fortoul n’a pas manqué de le faire ; mais ici encore il luttait avec de présens et poétiques souvenirs, il rencontrait M. de Lamartine sur son lac consacré. Lorsque l’auteur de Simiane nous montre Juliette s’enivrant des douces paroles amoureuses