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REVUE LITTÉRAIRE.

GRANDEUR DE LA VIE PRIVÉE, PAR M. H. FORTOUL[1].

La pensée sérieuse et élevée de cet ouvrage le distingue de tant d’autres productions romanesques du moment et mérite une attention que soutient le talent de l’auteur. M. Fortoul est, jusqu’à présent, connu surtout dans la critique ; il y a porté de la verve, de la poésie, mais aussi, il faut le dire, de la fougue, des préoccupations systématiques. Il était en tête de ceux que l’humanitarisme semble avoir le plus atteints, et qui, non contens d’un ensemble d’inspiration délicate ou généreuse, en poursuivent à tous les momens et dans tous les détails l’intention accusée et l’expression voulue. Il aurait volontiers demandé à un tableau de Decamps un symbole et contemplé dans une chanson de Béranger une synthèse. Flottant de Béranger à Quinet, il essayait de les comprendre l’un et l’autre dans une même formule. C’est un travers dans la critique, mais qui succédait à un autre travers, et qui s’explique par la réaction. Le romantisme dans la critique a dû, en effet, amener par contre-coup l’humanitarisme. On n’avait voulu voir dans une œuvre que les conditions de l’art pur ; cela a conduit les contradicteurs à n’y voir que l’idée sociale et le bon motif amplifié jusqu’au grandiose. La révolution politique de 1830 a donné le signal naturel à ce revirement littéraire. M. Fortoul, jeune, atteint, j’imagine, un moment par le romantisme, s’était bientôt retourné contre et avait emprunté à un système, qu’il jugeait plus large et plus fécond, des principes qui ne valent pourtant que pour ce qu’on y met de particulier et de correctif perpétuel dans l’application. Mais ce sont là des formes de passions et comme de maladies, que les jeunes talens doivent presque nécessairement traverser ; ils deviennent d’autant plus mûrs qu’ils s’en dégagent plus complètement. On ne passe point indifféremment sans doute par ces divers systèmes ; on en garde des impressions, des teintes, un pli ; mais enfin l’on en sort, quand on a un talent capable de maturité. Ce qui est bon à rappeler, c’est qu’on n’en sort jamais, après tout, qu’avec le fonds d’enjeu qu’on

  1. Chez Charles Gosselin, 2 volumes, contenant : Simiane, ou Poésie de la Vie privée, et Steven, ou Héroïsme de la Vie privée.