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INSTRUCTION PUBLIQUE.

seil de l’Université, pouvoir être proposé comme un traité méthodique, élémentaire et complet de toutes les parties de la philosophie. » — Nous nous dispenserons de constater la même indigence dans plusieurs autres parties de l’instruction.

C’est que la tâche de captiver l’attention mobile des jeunes gens, de mesurer la science et les règles du goût aux bornes resserrées de leur intelligence, exige des qualités éminentes, et qui semblent en quelque sorte s’exclure : le savoir étendu et minutieux, l’expérience du jeune âge, une grande puissance d’analyse pour discerner les opérations de l’esprit, surtout dans ses premiers développemens, et avec toutes ces acquisitions qui présupposent la maturité, un talent d’expression fin et solide, une jeunesse de sentiment et de style qui entraîne les sympathies de ceux qui sont jeunes. Ces difficultés, si grandes qu’elles soient, ne sont pourtant pas insurmontables. On obtiendrait, sinon tous les résultats désirables, au moins des améliorations importantes, si la composition des livres scolastiques était disputée à ces compilateurs sans crédit qui en ont le monopole presque exclusif ; si le gouvernement, après avoir dressé le plan d’un cours complet d’études, appelait à sa réalisation les hommes d’une valeur reconnue ; si le mérite de l’écrivain se mariait, au besoin, à celui de l’érudit ; si un livre, jugé bon par les comités officiels, était publié une première fois aux frais de l’état, c’est-à-dire soumis à l’épreuve de la critique, et à la sanction du bon sens public, avant d’être adopté hautement pour l’éducation nationale.

Répétons, en terminant, que le moyen le plus sûr de ruiner l’instruction publique serait de désorganiser ce qui existe. Les études vivent de calme et de silence, et tout déclassement brusque en interrompt le cours pour long-temps. C’est non sur le programme, qui est bon, mais sur l’enseignement lui-même, que les améliorations doivent porter. Il suffit de le fortifier, et pour cela on doit le concentrer plutôt que l’étendre ; il faut surtout préciser son but, et la route qu’il doit suivre. Au surplus, quelque réforme en ce sens ne saurait tarder. Les principes sociaux qui sont aujourd’hui le texte des plus insipides bavardages occupent aussi des esprits puissans ; les études consciencieuses sont à l’ordre du jour, et le bon sens, qui semblait avoir abdiqué au profit de l’impudence, réclame énergiquement ses droits. Depuis vingt ans, les matériaux se préparent pour quelque utile reconstruction, dont le plan est encore dans les secrets de l’avenir. Ces matériaux sont, il est vrai, dans un déplorable pêle-mêle ; ils sont comme ces élémens que le chimiste a rassemblés, et qui attendent l’éclair électrique pour se combiner et donner naissance à un corps unique. On ne peut prévoir d’où viendra la commotion, si elle aura lieu par le fait d’une haute intelligence, ou par suite des remuemens d’une société en malaise. Peu importe, pourvu qu’elle arrive, et que se forme enfin chez nous une somme de principes, un véritable esprit national capable de diriger et d’ennoblir cette puissance matérielle, qui prend sous nos yeux les plus remarquables accroissemens.


A. C.-T.