Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/857

Cette page a été validée par deux contributeurs.
853
INSTRUCTION PUBLIQUE.

contre des impossibilités. Un très habile écrivain, dans une de ces productions qui laissent des souvenirs, parce qu’elles parlent au cœur en même temps qu’à l’esprit, M. Patin, dans une charmante notice sur Rollin, a rappelé ce mot du vieux Pasquier : « Ce n’est pas en pierres seulement, mais en hommes, que se bâtit un collége. » Nous ne prétendons pas dire que ces matériaux de choix, que les hommes à la hauteur de leurs fonctions fassent défaut aujourd’hui. Il y aurait témérité à se prononcer sur le mérite et l’aptitude des professeurs de collége, puisqu’on ne les voit pas à l’œuvre. Mais cette impossibilité de juger ceux à qui l’on confie l’avenir du pays nous semble précisément un grave inconvénient. Autrefois, la régularité presque monastique du corps universitaire, le respect des traditions, la communauté d’intérêts et de doctrines, témoignaient hautement de l’esprit qui devait présider aux études. Plus tard, la primitive école normale, dut, aux termes de son institution, donner la plus grande publicité à ses travaux. On sait que les leçons des professeurs, et les plus remarquables conférences des élèves, furent sténographiées et livrées au contrôle de la raison publique. La convention, souvent grande et loyale dans ses vues, l’avait voulu ainsi, pour qu’il devînt possible aux citoyens éclairés d’apprécier l’instruction donnée à leurs fils, et, au besoin, de réclamer la réforme d’un enseignement vicieux ; il n’en est plus de même aujourd’hui. Les leçons de l’école normale n’ont aucun retentissement extérieur ; et les jeunes gens qui prennent possession des chaires ne se sont révélés au public que par une thèse d’histoire ou de philosophie. Or, on peut accumuler sur un seul point les acquisitions de plusieurs mois, éclairer parfaitement la doctrine des Pythagoriciens ou les migrations des Wisigoths, et n’être après tout qu’un fort mauvais maître.

On sait qu’un collégien change annuellement de professeur en épuisant la série des classes. Cette coutume date de l’époque où la divergence des doctrines, en morale comme en politique, était sans importance réelle. S’il arrivait que Gibert reprochât à Rollin de ne pas comprendre l’antiquité, ou que le rigorisme des universitaires fût condamné par les jésuites, ces dissidences, si légères qu’elles sont à peine apparentes pour nous, n’ébranlaient au fond ni la croyance commune, ni la dévotion non moins fervente aux modèles classiques. Alors il y avait avantage pour l’élève à passer d’un maître à l’autre, puisque, tout en demeurant sous le joug des mêmes principes, il utilisait l’expérience de plusieurs, et enrichissait sa pensée des nuances de divers esprits. Cette pratique, conservée jusqu’à nos jours, et qu’il serait assurément difficile d’abolir, est-elle encore sans inconvéniens ? En politique, en philosophie, en littérature, les oppositions se sont vivement tranchées ; des théories discordantes, inconciliables, sont présentement en lutte ; on a même formulé en système le droit conféré à chacun de se faire un système suivant ses lumières. Nous ne voyons pas pourquoi les jeunes professeurs échapperaient aux fatalités de notre époque. Ne serait-il pas déplorable qu’un collégien reçût tour à tour les leçons d’un atticiste et d’un admirateur du coloris moderne, d’un chronologiste minutieux et d’un partisan de la symbolique al-