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INSTRUCTION PUBLIQUE.

nelles, mot barbare que nous serons souvent forcés d’employer, mais dont nous laissons la responsabilité à ceux qui en ont fait un symbole de rénovation. L’auteur reproduit le prospectus de chaque établissement, depuis le programme des cours jusqu’au prix de la pension et au trousseau exigé. Si l’ouvrage de M. de Girardin n’avait pas une autre portée, notre tâche consisterait uniquement à reconnaître qu’il peut être fort utile à titre d’indications. Mais comme chaque chapitre donne lieu à des considérations morales, à des thèses de pédagogie, à des projets de réforme, un simple recueil de renseignemens se trouve élevé à l’importance d’un vaste plan d’éducation, et même d’une tentative de réorganisation sociale. Dès-lors nous acceptons le devoir d’étudier un livre qui porte pour épigraphe cette sentence de Leibnitz : — Celui qui est maître de l’éducation peut changer la face du monde. — Notre examen sera d’autant plus minutieux, qu’une nouvelle édition, tirée, dit-on, à un nombre considérable, offerte à très bas prix, et poussée par tous les souffles de la publicité, sera bientôt présentée au public, comme le Guide des familles.

Qu’on ne nous accuse pas d’attribuer malignement à M. de Girardin des prétentions trop ambitieuses. La France lui paraît si proche d’un abîme sans fond, qu’il ne pouvait moins faire que de lui tendre la main. Écoutez ses désolantes prophéties (page 380) :

« La France n’a de système sur rien ; elle manque d’esprit de suite et d’ensemble, de prévoyance et de persévérance. Poursuivie par le passé, débordée par le présent, surprise par l’avenir, elle vit au jour la journée entre deux révolutions, l’une inachevée, l’autre imminente ; fatalement gouvernée par la mobilité des faits, là où devrait régner l’immutabilité des principes ; soutenue par la force des choses, non par la supériorité des ministres responsables de ses destinées ; ne prévoyant rien, ne préparant rien, s’apercevant seulement que le temps des semailles est passé, quand le temps de la moisson est venu ; laissant le présent inculte, et s’étonnant que l’avenir soit stérile ; enfin, au dehors comme au dedans, n’ayant aucun plan sûrement arrêté et constamment suivi. » — D’où il résulte, suivant l’auteur, que nos alliances, flottantes et muettes, n’inspirent aucune confiance ; que notre force militaire est mal combinée ; que notre agriculture, notre industrie, notre commerce, nos travaux publics, errent plutôt qu’ils ne marchent ; que l’instruction publique, enfin, cherche vainement deux choses : la main et le point d’appui qui lui sont nécessaires pour relever la condition humaine. Une telle complication de maux appelle assurément un remède prompt et énergique, et nous avons hâte de soumettre à l’épreuve de l’analyse celui qui nous est présenté par M. Émile de Girardin.

Offrir gratuitement et uniformément à tous les Français une somme d’instruction telle que chacun pût passer sans transition des écoles primaires à une institution spécialement consacrée à la profession qu’il veut suivre ; en d’autres termes, faire en sorte que tout citoyen complétât son éducation in-