Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/832

Cette page a été validée par deux contributeurs.
828
REVUE DES DEUX MONDES.

critique. Peu à peu cependant les gens de goût et les moqueurs s’enhardirent. Ce furent d’abord quelques épigrammes timides, puis l’examen, puis la satire, puis enfin le pauvre poème succomba. La Pucelle de Chapelain a eu le malheur, qu’ayant été trop exaltée, elle a été aussi trop rabaissée. Elle vaut, certes, mieux que sa réputation.

Dans sa préface, Chapelain justifie, avec beaucoup de vivacité, le sujet qu’il a choisi. Quelques personnes l’avaient blâmé d’avoir fait d’une femme l’héroïne d’un poème épique. Chapelain, là-dessus, traite la question de la préséance des sexes. Avant quelques-uns des docteurs et des apôtres modernes, Chapelain avait revendiqué les droits de la femme.

Quant à nous, sans vouloir rechercher à qui de l’homme ou de la femme appartient la préséance, il nous semble curieux d’examiner d’où vient que, dans les poèmes épiques, et surtout dans ceux des modernes, nous voyons partout des héroïnes et des femmes guerrières. Dans nos romans de chevalerie, quand les guerriers donnent quelque grand coup de lance et font tomber le casque de leur adversaire, c’est souvent, vous le savez, une belle et intrépide guerrière qui s’offre à leurs regards étonnés et ravis, avec ses longs cheveux flottant en désordre sur ses épaules, et son visage embelli de l’ardeur du combat et de la pudeur de la défaite. Est-ce là une fiction romanesque ? Est-ce une tradition héroïque ? Qu’est-ce, dans Virgile, que Penthésilée et ses amazones,

Ducit amazonidum lunatis agmina peltis ?
Qu’est-ce que ces Clorinde, ces Bradamante, ces Marphise du Tasse et de l’Arioste ? Lorsque nous remontons dans les traditions de la poésie et de l’histoire moderne, nous trouvons partout des héroïnes et des guerrières ; dans l’Edda, nous voyons Brunehaut, non pas la Brunehaut de l’histoire de France, mais la Brunehaut des Nibelungen et des traditions germaniques. Cette prophétesse, cette guerrière merveilleuse qui s’endort d’un sommeil magique, emprisonnée dans une armure enchantée, que brise Sigour, le Siegefrid des Nibelungen, a déjà presque tous les traits des héroïnes de nos romans de chevalerie. Écoutez la rencontre de Sigour et de Brunehaut.

Sigour traversait la montagne des Cerfs, et se dirigeait vers l’orient, en Franconie, quand il aperçut sur la montagne une grande lumière comme un incendie, dont le reflet éclairait tout le ciel. Il marche vers la lumière ; alors s’offre à ses yeux un rempart fait de boucliers d’airain, et au milieu du rempart un drapeau déployé. Il