Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/827

Cette page a été validée par deux contributeurs.
823
ASCENSION AU VIGNEMALE.

quittes, Edgar et moi, pour deux bons coups de soleil ; heureusement l’air était tranquille, car le vent aurait rendu notre excoriation plus complète encore.

De toute la chaîne des Pyrénées que nous parcourions des yeux, si nous devons nous en rapporter à la première impression, le Mont-Perdu s’élève le plus haut. Le groupe du Marboré, depuis le Taillon jusqu’aux aiguilles d’Allanz, occupe dans le sud-est une place éminente. Les montagnes de l’est, à l’exception du pic long de Néouvielle, sont toutes d’une taille fort inférieure. Je n’ai rien remarqué, ni au nord ni à l’ouest, de digne d’être cité. La plaine de Tarbes s’étendait au loin et se confondait avec l’horizon. Du côté de l’Espagne, on voulut me faire voir Saragosse, mais on n’y put réussir.

Avant de partir, nous laissâmes auprès du drapeau une bouteille dans laquelle je glissai un papier contenant les divers détails de notre ascension. J’invite les personnes que les dangers et les fatigues d’une pareille expédition n’arrêteraient pas, à aller placer à leur tour leurs noms dans cet endroit ; je crois qu’elles seront heureuses d’y avoir été, mais à coup sûr elles n’y retourneront pas.

J’avais observé sur le baromètre à notre station de la vallée du Cardal, à cinq heures et demie du matin, 0,m 6114 avec 17°,5 du thermomètre centigrade ; — sur le Plan d’Aube, à sept heures dix-huit minutes, 0,m 5801 — et 18° de chaleur ; enfin, au sommet du Vignemale, 0,m 5228 avec 20°,5 de chaleur. D’après les observations faites dans le même temps à Luz, la hauteur du Vignemale au-dessus du niveau de la mer serait de 3421m,48 en supposant, selon Pasumot, Luz à 390 toises au-dessus de la mer.

Il fallut partir, et nous retrouvâmes bientôt la neige que nous traversâmes de nouveau heureusement. Cependant il nous était aisé de sentir que l’énergie de notre volonté avait jusque-là soutenu nos jambes, et qu’après le succès elles étaient un peu disposées à mollir. Nous avions à lutter contre un grand danger, c’était d’envoyer des pierres à ceux d’entre nous qui marchaient les premiers. En descendant, on se trouve souvent les uns au-dessus des autres, et les fragmens de rocher qu’on détache viennent frapper la tête de la colonne, qui maudit alors l’arrière-garde. Plus d’un quartier de marbre siffla à nos oreilles, plus d’un ruisseau de schistes vint se partager sur nos tibias. Mais comment toujours modérer la vitesse de la descente ? Nous sentions d’ailleurs, en nous rappelant les obstacles rencontrés le matin, qu’il était important de les franchir avant la nuit, et, toutes les fois que cela était possible, nous gagnions du temps en nous laissant glisser.