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qu’aux épaules quand nous le retirâmes. Nous arrivâmes sans autre accident au pied du Vignemale, et enfin, au sommet du pic, à deux heures et demie, une heure après notre dernière halte, ainsi que nous l’avait annoncé Cantouz.

Le sommet du Vignemale est l’angle d’un tétraèdre triangulaire dont deux faces sont perpendiculaires entre elles. Qu’on se le figure couché sur la plus longue de ces faces et présentant l’autre au sud, on aura une idée assez exacte de l’aspect du pic et de la manière dont il est orienté. Ajoutez à cette disposition, qui exclut toute surface horizontale au sommet, la composition même de la crête qui n’est formée que de fragmens de toutes grandeurs, superposés dans le plus grand désordre, et vous comprendrez qu’il ne doit pas être facile de s’y reposer. C’est, en effet, une remarque que nous fîmes quand nous eûmes essayé plusieurs fois de nous y asseoir.

Après avoir promené nos regards sur un panorama que je n’essaierai pas de décrire, et dont une carte géographique des Pyrénées ne peut qu’imparfaitement donner l’idée, notre premier soin fut de faire nos observations barométriques ; puis d’élever, au moyen de tous les débris que le lieu fournit en abondance, une petite tour, afin d’exhausser un drapeau que nous y plantâmes en le saluant d’une décharge de toute notre artillerie. Alors nous poussâmes de grands cris de joie, et bûmes gaiement à la santé du Vignemale.

À notre grande surprise, une voix nous répondit ; ce n’était pas l’écho, mais bien une voix humaine éloignée, différente des nôtres… Comment expliquer ce phénomène ? Nos lunettes parcouraient dans tous les sens les montagnes environnantes sans y trouver trace de créature humaine, quand un petit point noir sur la surface du lac de Gaube attira notre attention ; c’était la barque du pêcheur du lac : cette barque voguait en s’approchant de notre côté, et à coup sûr c’était de là qu’on nous avait répondu. Malgré l’énorme distance, cela ne parut pas étonner nos guides qui semblaient enchantés de savoir qu’on connaîtrait à Cauterets, le soir même, le résultat de notre excursion, et m’assuraient que la propagation du son dans les montagnes expliquait aisément ce phénomène.

Nous étions fort incommodés par le soleil ; on sait combien, à ces hauteurs, la figure se brûle aisément ; l’évaporation des corps a lieu d’autant plus abondamment dans un temps donné, que le milieu où ils se trouvent est moins dense. Aussi la raréfaction de l’atmosphère contribuait-elle puissamment ici à dessécher la peau. On rapporte qu’au haut du Mont-Blanc et dans les Cordillières l’air est tellement raréfié, que le sang jaillit quelquefois par les pores : ici nous en fûmes