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savant illustre que je cite a plus d’une fois établi, dans ses ouvrages, des faits dont l’application aurait dû le conduire naturellement à essayer de tourner cet ennemi qu’il ne pouvait vaincre de front. Comment n’a-t-il pas senti la portée de ces faits ? je l’ignore.

Il est une vérité reconnue en effet, et que Ramond a été un des premiers à établir, c’est que le versant sud des Pyrénées offre des pentes moins abruptes, des rochers moins affreux, que le versant septentrional. Du côté de la France, les cimes de ces montagnes, dans les régions très élevées, sont protégées par des neiges presque éternelles ; le soleil n’a qu’une action fort limitée sur ces sommités, qui nous montrent encore toute la raideur de leur structure primitive. Là, pas une roche qui ne soit de première formation, pas une surface qui n’ait été baignée par les eaux du déluge. Du côté de l’Espagne, au contraire, les rayons d’un soleil plus ardent brûlent ces sommets trempés de neiges fondues, le travail des eaux ronge la montagne, et ces deux grands élémens de destruction réunis y entassent, depuis des siècles, débris sur débris, ruines sur ruines. Qui dit ruine dit éboulemens, brèches ; c’est donc par l’Espagne qu’on doit toujours donner l’assaut. Si l’on parvient jamais au sommet de la Maladetta, ce sera par la Catalogne.

La route qu’on nous faisait prendre avait donc l’avantage d’être rationnelle, et, pénétré de mes auteurs, je me prêtai sans murmurer à l’immense détour que notre guide nous imposait. J’avouerai toutefois que, jusqu’au dernier moment, je doutai un peu de la véracité de Cantouz, tant j’avais toujours entendu parler de l’impossibilité de gravir le Vignemale ; mais j’ai hâte de témoigner ici, pour lui rendre justice, qu’il nous a menés droit au but de notre voyage, sans hésiter et sans que nous eussions à regretter le temps perdu à chercher une direction meilleure que celle indiquée par lui.

C’était autour du Malferrat que nous montions d’abord, en nous dirigeant vers le nord, au-dessus de la vallée de Serbigliana. Au commencement, la route suivie est presque horizontale ; nous nous élevions à peine, afin d’éviter les rochers peu abordables dont est revêtue la partie moyenne du Malferrat ; nous suivîmes prudemment le pied de la montagne pendant une ou deux heures. Je tenais la tête de la colonne, dans le but de régler la vitesse de la marche. Nous rencontrâmes bientôt des ardoises mouvantes, des schistes en décomposition sur des pentes rapides. Ce sol est des plus pénibles ; il ne faut pas s’y arrêter ; l’on doit poser le pied à peine quand on rencontre une de ces veines grisâtres, et s’élancer. Le