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croupe du glacier du Malferrat, et nous étions désormais dans le plat pays, sur une belle surface de neige, que ne sillonnait aucune apparence de fissure. Nous ne nous aventurâmes pourtant qu’avec précaution sur ce sol souvent perfide, et ce ne fut qu’au bout d’une heure que nous atteignîmes le pic le plus élevé du Vignemale.

— Et votre retour, Cantouz ?

— Ah ! monsieur, nous fûmes obligés de coucher sur la montagne, sans savoir si le lendemain nous pourrions redescendre ; mais nous fûmes assez heureux pour trouver, du côté de la vallée de Serbigliana en Espagne, un chemin très facile, que je vous ferai prendre, ainsi qu’à monsieur votre frère, si le cœur lui en dit. J’avais voulu y conduire l’Anglais pour qui j’avais cherché ce passage ; mais ses affaires l’ayant forcé à quitter Saint-Sauveur, nous ne pûmes effectuer l’ascension ensemble.

— Ah çà ! dis-je un peu ébranlé, vous vous souvenez bien de la route ?

— Comme si je l’avais trouvée hier.

— Vous savez pourtant que des lavanges, des neiges nouvelles peuvent changer, en peu d’heures, l’aspect de la montagne, et rendre votre route méconnaissable ?

Mais Cantouz ne voulut pas en démordre, et m’assura qu’il nous mènerait au sommet du Vignemale.

— Eh bien ! Edgar, si tu veux, nous irons.

— Cela me paraît évident, me répondit mon brave frère.

Dès ce moment, notre voyage au Vignemale fut décidé.

Le 10 août, à onze heures, nous étions en route, par un temps magnifique, indispensable à notre entreprise, avec Vincent, guide et chasseur de Luz, David, mon domestique, et le conducteur d’un cheval de bât chargé de couvertures et de provisions.

De Luz à Gavarnie, la route, que nous connaissions d’ailleurs, n’attira pas notre attention. Semblables à certaines gens dans le monde qui suivent une idée et n’écoutent rien de ce qu’on leur dit, nous marchions comme des inspirés, ne nous laissant aller à aucune distraction étrangère à notre mission. Après avoir pris une hache et des crampons à Gavarnie, où nous déjeunâmes, nous repartîmes aussitôt, nous dirigeant vers l’ouest par la vallée d’Ossone.

Nous rencontrâmes d’abord une côte rapide et pierreuse, puis un joli bois de noisetiers bien frais. À une demi-lieue plus loin, le vallon se resserre, et le chemin devient plus horizontal, à la grande satisfaction de nos chevaux qui semblaient protester, par des haltes fréquentes, contre les pentes de soixante-dix degrés sur lesquelles nous les con-