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à ce que d’autres en tirent parti. Aussi ce que ces pays rapportent au gouvernement russe est fort peu de chose, surtout auprès de ce qu’ils lui coûtent. On dira peut-être que les grandes dépenses sont pour la nombreuse armée qu’il faut entretenir autour du Caucase, et que, les montagnards une fois réduits, ces dépenses égaleront à peine les recettes, quelque faibles que soient celles-ci. Nous voulons bien l’admettre ; mais, demanderons-nous à notre tour, quand les montagnards seront-ils réduits ? Il est assez probable qu’à force d’expéditions, de blocus, de forteresses et de Cosaques, on les mettra hors d’état de faire la guerre aux Russes et de leur opposer des masses d’hommes considérables comme ils l’ont fait encore en 1831 et en 1836. Mais que de soldats, d’argent et d’années n’aura-t-il pas fallu dépenser pour arriver à ce résultat ! puis, quand on l’aura obtenu, il restera le brigandage en détail qui survivra au brigandage en grand, et qui ne pourra être réprimé qu’à grands frais pendant bien long-temps encore. Nous sommes donc encore bien loin du moment où les pays du Caucase seront une source de richesses pour la Russie, si tant est que cela doive arriver un jour.

Parlerons-nous du commerce entre l’Asie et l’Europe qu’on espère faire passer par l’isthme caucasien ? Il est vrai qu’on s’est flatté et qu’on se flatte peut-être encore à Saint-Pétersbourg de faire de Tiflis un grand centre commercial ; mais ce n’est pas le tout que d’être situé entre deux mers, si l’on ne peut arriver aisément et promptement à l’une et à l’autre. Or, de Bakou à Redoute-Kalé ou à Poti, il y a près de deux cents lieues à faire par des chemins qui seront toujours difficiles, même avec de bonnes routes, puisqu’il y a plusieurs contreforts du Caucase à traverser. Quant à la navigation intérieure, la nature du pays ne la comporte pas : les rivières sont des torrens qui, tantôt sont à peu près à sec, tantôt inondent leurs rivages ; les deux plus grands cours d’eau du pays, le Kour et le Rioni, ne sont navigables, pour des bateaux un peu forts, qu’à peu de lieues au-dessus de leur embouchure. Les communications, impossibles par eau, sont donc très lentes et très peu faciles par terre, à tel point que les transports les plus considérables doivent se faire à dos de bêtes de somme. Aussi avons-nous vu que les douanes de la mer Caspienne rendent fort peu et que le commerce de Redoute-Kalé, sur la mer Noire, est assez insignifiant. Quand même les difficultés que nous venons de signaler n’existeraient pas, on ne pourrait guère espérer faire un grand commerce avec l’Asie orientale par la voie de terre. Il est difficile de croire que les caravanes, avec les déserts qu’elles ont à fran-