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obligé d’aller vite à cause de la courte durée des jours d’hiver, résolut d’attaquer avec l’infanterie seule. Les chasseurs d’Apchéron montèrent hardiment à l’assaut, chassèrent l’ennemi des retranchemens placés en avant du village, et s’emparèrent de quelques maisons ; mais ils se trouvèrent là en face d’une redoute entourée de trois fortes murailles, qu’une hauteur mettait à l’abri du canon et dont les approches étaient défendues par des troncs d’arbres jetés à terre et par des chevaux de frise. Les remparts étaient garnis de meurtrières par où les montagnards faisaient un feu continuel, très redoutable pour les assaillans. Les soldats russes s’élancèrent sur les murailles, mais les assiégés firent une résistance désespérée. Il y eut une mêlée des plus sanglantes qui se prolongea, pendant quelque temps, avec un acharnement incroyable, et Agatchkalé (c’est le nom de la redoute) fut bientôt couverte de cadavres, sans que personne restât maître du terrain. Miklachewski, qui était resté de l’autre côté du ravin, ayant appris ce qui se passait, monta à cheval en toute hâte, et, suivi de deux compagnies de chasseurs, traversa rapidement le ravin, malgré l’escarpement de ses pentes, à peine accessibles pour un homme à pied. Sa destinée le portait, dirent plus tard les soldats. Il atteignit la hauteur, sauta à bas de son cheval, tira son épée et cria : « En avant ! mes amis, c’est maintenant à notre tour de montrer ce que nous savons faire. » Un hourrah général accueillit ces paroles. Il monta le premier à l’assaut, courut aux meurtrières, et voulut percer de son épée un des assiégés ; mais une grêle de balles vint le frapper, et il tomba. Plusieurs autres officiers furent tués ou blessés à ses côtés. Les soldats, exaltés par le désir de venger un chef qu’ils chérissaient, se précipitèrent sur les retranchemens avec une nouvelle ardeur, et finirent par y pénétrer après des efforts inouis. On s’y tua avec fureur, et le carnage fut effroyable. Quand on sonna la retraite, tous les défenseurs de la redoute avaient été passés au fil de l’épée. Il n’en restait plus de vivans ni même de blessés. La nuit sauva un petit nombre d’entre eux qui se laissèrent glisser le long des rochers ; on reconnut, parmi les morts, quelques-uns des partisans et des amis les plus importans de Khasi-Moullah. Quant à Khasi lui-même, il s’était enfui si précipitamment, qu’on trouva dans une petite grotte, où il avait prié pendant le combat, son koran et d’autres livres religieux. Le tapis sur lequel il s’était assis était ensanglanté ; peut-être avait-il reçu une blessure. La victoire des Russes était complète, mais chèrement achetée. Cette expédition assura pour quelque temps la tranquillité du Daghestan, et les troupes rentrèrent dans leurs quartiers d’hiver.

Malgré le mauvais succès de ses premières entreprises, Khasi-