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musique, comme pour narguer les souffrances qui régnaient dans la forteresse. Le commandant et la garnison étaient pleins de courage ; mais que pouvait une poignée d’hommes contre une multitude d’ennemis qui grossissait sans cesse, et surtout contre la soif, qu’il serait bientôt au-dessus de leurs forces de supporter plus long-temps ? Il n’y avait d’espoir que dans le prompt retour du général Kokhanof ; mais ses troupes ne se montraient nulle part, et il était probable qu’il ignorait ce qui se passait à Tarkou. Un Tartare dévoué au chamkal, qui s’était réfugié dans la citadelle, résolut d’aller avertir le général russe. Au point du jour, il sauta en bas des murs, comme s’il désertait ; on tira sur lui à poudre de la citadelle, et il alla se cacher dans les buissons, au milieu des ennemis. Les assiégés, qui avaient vu cette manœuvre, restèrent dans l’attente et dans l’inquiétude, tremblant que leur messager n’eût été retenu par les montagnards, ignorant même si ce n’était pas un traître. Deux longues journées se passèrent ainsi, pendant lesquelles Khasi-Moullah aurait pu facilement s’emparer de la citadelle, s’il eût été un général expérimenté, et qu’au lieu de l’attaquer du côté de la ville, défendu par des retranchemens inaccessibles, il l’eût assaillie du côté de la montagne, où les murailles étaient peu élevées et très faciles à escalader ; mais, comme tous ses efforts étaient dirigés sur les points les plus forts de la place, la petite garnison put tenir bon et même faire assez de mal aux assiégeans. Le second jour depuis le départ du Tartare tirait à sa fin, et la dernière espérance des assiégés s’évanouissait, car le corps de Kokhanof ne paraissait pas. Des transfuges portèrent la nouvelle que Khasi-Moullah avait ordonné l’assaut pour le lendemain, et que les fascines et les échelles étaient déjà préparées en grande quantité. Les Russes songeaient à se défendre ou plutôt à mourir, lorsque tout à coup des détonations lointaines se firent entendre dans les montagnes. On peut se figurer combien fut enivrant ce passage subit du désespoir à la joie. Il était déjà nuit lorsque la première grenade lancée par les troupes de Kokhanof fit explosion. Bientôt la canonnade, en se rapprochant, annonça à la garnison sa délivrance. Le général russe était occupé à ravager quelques villages insurgés, lorsqu’il reçut la nouvelle du triste état où se trouvait la citadelle de Tarkou ; il résolut de voler à son secours sans perdre de temps ; mais, comme les montagnes et les ravins ralentissaient trop la marche des troupes, il prit les devans avec un faible détachement et arriva près de Tarkou à la nuit tombante. Il fit aussitôt canonner les maisons occupées par l’ennemi, afin de relever le courage de la garnison, et, en effet, un long cri de joie,