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sur eux, de la manière la plus terrible, l’assassinat de deux généraux russes. Il leur avait inspiré une telle crainte, que, même à l’époque si critique de la guerre de Perse, lorsqu’Abbas-Mirza passa la frontière et poussa ses troupes jusqu’au Samour, ils n’osèrent rien tenter d’important. Mais, peu après la fin de la guerre de Turquie, il s’éleva parmi eux un chef hardi, appelé Khasi-Moullah, qui propagea l’esprit d’insurrection jusque dans des parties du Daghestan depuis long-temps soumises à la Russie, et prêcha publiquement la révolte au nom de la religion. Khasi-Moullah avait passé sa jeunesse dans un bourg appelé Himri, situé au bord du Koissou, sur un rocher escarpé ; il se nommait alors Khasi-Mohammed, et vivait comme la plupart de ses compatriotes, parcourant les villages du chamkal de Tarkou, où il échangeait des raisins et d’autres produits de ses champs contre des grains. C’est alors que ses courses continuelles lui donnèrent une connaissance des localités dont plus tard il profita admirablement contre les Russes. Dans la suite il voulut apprendre à lire et s’attacha à un moullah qui, frappé de son intelligence extraordinaire, l’envoya au savant Kadi-Mohammed, lequel habitait le territoire d’Aslan, khan des Khasi-Koumouks. Celui-ci enseigna à son élève la langue arabe, et lui inspira en même temps le fanatisme musulman le plus furieux et une haine implacable contre les chrétiens.

Bientôt Khasi imagina de se donner pour un envoyé de Dieu, et fit des récits merveilleux sur de prétendues révélations célestes qui lui avaient été faites ; il prêcha dès-lors ouvertement l’insurrection et la guerre contre les infidèles. Mettant à profit l’ignorance et la superstition de ses compatriotes, il se présenta à eux comme un prophète qui avait reçu d’en haut la mission de rendre la liberté au Daghestan et d’y établir un tribunal suprême pour rendre la justice à tout le pays. Son plan était dès lors de se faire, dans cette contrée, une souveraineté indépendante. Aslan-Khan, qui ne se souciait guère de voir s’élever un nouveau pouvoir à côté du sien, et qui, d’ailleurs, n’était nullement fanatique, chassa de son territoire le maître et l’écolier, pensant que les musulmans avaient bien assez d’un Mahomet. Ceci se passait en 1821. Depuis lors Khasi se tint tranquille ; il semblait avoir renoncé à ses espérances, et il attendait en silence qu’une occasion favorable se présentât de reprendre son rôle de prophète. Elle se rencontra en 1830, lorsque les tribus de la Circassie crurent pouvoir profiter des embarras où l’insurrection de Pologne jetait la Russie, et excitèrent un soulèvement dans tout le Caucase occidental. Khasi-Moullah crut que le moment était venu ; il parcourut le Daghestan,