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DU THÉÂTRE CHINOIS.

mon lait, et je lui prodiguai tous les soins que suggère l’amour maternel. Lorsqu’il avait froid, je réchauffais doucement ses membres délicats. Hélas ! combien il m’a fallu de peine et de fatigue pour l’élever jusqu’à l’âge de cinq ans ! Faible et tendre encore comme il l’est, on ne pourrait, sans le blesser grièvement, le tirer avec effort de deux côtés opposés. Si je ne devais, seigneur, obtenir mon fils qu’en déboîtant ou brisant ses bras, j’aimerais mieux périr sous les coups que de faire le moindre effort pour le tirer hors du cercle, »

Ici ce n’est pas la sagesse du juge qui, par un moyen bizarre, découvre la vérité, c’est le cri de l’amour maternel qui la proclame. Au fond, il n’y eut pas moins une parité bien remarquable entre le Jugement de Salomon et l’Histoire du Cercle de craie.

Cette pièce n’a point pour objet l’idéal de la moralité chinoise, elle ne nous présente pas l’héroïsme de la reconnaissance comme l’Orphelin de Tchao, l’invincible attachement à un époux et à la patrie comme la Tristesse du palais de Han ; elle offre au contraire un portrait peu flatteur et peu flatté de la vie réelle, des mœurs les plus vulgaires, des sentimens les plus bas et les plus coupables. Haï-tang, l’héroïne, le personnage intéressant de la pièce, a fait un métier qu’elle désigne en chinois par une périphrase poétique à laquelle rien d’aussi décent ne correspondrait en français : « Je vivais parmi les saules et les fleurs. Je reconduisais l’un pour aller au devant de l’autre, et mon occupation habituelle était le chant et la danse. » Elle repousse durement un frère qui, réduit à la mendicité, vient implorer ses secours, et plus tard, le frère, trouvant sa sœur malheureuse à son tour, l’accable d’outrages et de coups, La passion adultère de Mme Ma pour le greffier Tchao est exprimée avec une véhémence et une grossièreté d’expression qui n’a pas permis à M. Julien de tout traduire. Ce greffier est le plus déhonté coquin qui se puisse rencontrer. Quand il est accusé, il cherche à rejeter sur sa complice le crime où il a trempé, « Seigneur, dit-il au juge, ne voyez-vous pas que cette femme a toute la figure couverte d’une couche de fard ? Si on enlevait avec de l’eau les couleurs empruntées, ce ne serait plus qu’un masque hideux que nul homme ne voudrait ramasser, s’il le trouvait sur sa route. Comment eût-elle pu séduire votre serviteur et l’entraîner dans un commerce criminel ? »

La bassesse ne peut aller au delà de ces outrages publics adressés par cet infâme à l’objet de sa passion vraie ou simulée. Quand la torture l’a forcé à convenir d’une partie de ses crimes, il dispute encore contre la loi qu’il connaît et cite comme un bandit de cour d’assises.