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DU THÉÂTRE CHINOIS.

va perdre, la civilisation qu’elle laisse derrière elle, et ces beaux vêtemens qui ne l’orneront plus aux yeux des hommes ; regrets naïfs de la coquetterie féminine à côté des regrets du cœur.

La situation est touchante. Mais rien n’est développé ; tout est trop superficiel et trop rapide. L’absence de la poésie, retranchée par M. Davis, se fait vivement sentir.

Le khan vient recevoir la princesse. « Quel est ce fleuve ? » demande-t-elle. On lui répond que c’est le fleuve Amour, qui marque la limite des deux empires. Elle prend une coupe, se tourne du côté du sud, fait une libation, adresse à l’empereur un dernier adieu, et se précipite dans les ondes.

La pièce ne finit pas là ; nous sommes reportés à la cour impériale. L’empereur est livré à ses regrets ; il adore le souvenir de celle qu’il a perdue, et brûle des parfums devant son portrait. Pendant qu’il est plongé dans le sommeil, elle lui apparaît : « Livrée comme une captive pour apaiser des barbares, ils voulaient m’emporter dans une région boréale ; mais j’ai saisi le moment de leur échapper. N’est-ce pas là l’empereur mon souverain ? Seigneur, je vous suis rendue. »

Tout à coup un soldat tartare vient se placer dans la vision de l’empereur à côté de sa malheureuse compagne, et l’enlève ; trois fois elle est ainsi enlevée, et trois fois elle revient vers celui qu’elle aime.

Cette dernière scène exprime assez poétiquement l’invincible attachement de l’exilée pour son époux et pour sa patrie.

Enfin paraissent les envoyés tartares, qui viennent annoncer la mort de la princesse, et ramènent le ministre qui a causé tout le mal, et qui est livré au supplice. Les deux nations font la paix, et il y a bonne harmonie entre les deux souverains ; car, comme je l’ai remarqué plus haut, dans cette pièce écrite sous la domination des Mongols, les Tartares sont subordonnés aux Chinois, mais ne leur sont pas sacrifiés.

Suivant une tradition touchante, le tombeau de la triste héroïne de ce drame demeure, toute l’année, verdoyant au milieu des sables, comme si la fertilité de son pays natal la suivait pour consoler son ombre au désert.

Le sujet du Cercle de craie n’appartient pas à l’histoire ; c’est une de ces anecdotes qu’on retrouve partout, avec des variantes diverses. Tout le monde connaît le Jugement de Salomon : deux femmes réclamaient le même enfant, le sage roi d’Israël ordonne qu’il soit coupé en deux parties égales pour satisfaire chacune des plaignantes. La fausse mère y consent, la véritable prouve son droit en l’abandonnant.