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rens de nos duos ou de nos couplets. Quelquefois ces morceaux sont remplacés par des tirades déclamées qui sont également composées dans ce style figuré plein de métaphores convenues et d’allusions poétiques dont l’auditoire a le secret, ce qu’on appelle le style orné (wen tchang). Toute cette portion poétique de la pièce est là pour satisfaire à un besoin de l’imagination humaine qui se fait sentir de différentes manières dans la poésie dramatique de tous les peuples.

L’homme ne peut se contenter du simple spectacle des faits qui s’accomplissent devant ses yeux, il a besoin que l’émotion poétique que ces faits éveillent en lui soit exprimée ; il a besoin que les sentimens de terreur, de pitié, de tendresse, que les évènemens représentés suscitent dans son ame, trouvent en dehors de lui et dans le drame même un écho lyrique. Ce besoin était admirablement satisfait chez les Grecs par le chœur tragique, dont ce n’était pas, au reste, le seul emploi et l’unique avantage. Après avoir entendu les plaintes, les menaces, les altercations des personnages ; après avoir vu quelques terribles catastrophes se préparer ou fondre sur la tête d’un héros, le spectateur, intérieurement agité, trouvait dans le chœur comme une voix harmonieuse qui calmait son trouble en l’exprimant, ou répondait par des paroles de haute modération et de divine sagesse à ses terrestres inquiétudes. L’absence du chœur chez les modernes les a forcés de chercher à leur insu d’autres moyens moins parfaits d’atteindre au même but, de reposer par des effusions lyriques l’ame que la réalité dramatique, si elle lui était présentée sans mélange et sans intervalle, finirait par écraser. Cette nécessité de l’art, qui est une nécessité de notre nature, a produit les morceaux en vers cultos jetés au milieu de l’action impétueuse et précipitée de la comédie espagnole, comme des lieux de repos et de délassement, comme, au-dessus de la plaine poudreuse et brûlante, la cime fraîche et sereine d’une sierra nevada. Nos tirades, nos récits tant attaqués sont nés également de ce besoin qu’a l’imagination, ébranlée par le spectacle des évènemens tragiques, de prendre son essor et de planer quelque temps au-dessus d’eux avant d’y retomber. Les digressions hardies, les saillies excentriques de la pensée qui, dans Shakespare, se mêlent à la simplicité du dialogue, proviennent du même principe. En résumé, on ne peut exclure l’élément lyrique du drame. Il y pénètre toujours par quelque endroit. Racine et Shakspeare, l’un avec une habileté infinie, l’autre avec une hardiesse souvent heureuse, l’ont pétri et fondu dans la substance même du dialogue. Les Grecs lui donnaient une place à part. Les Chinois (qu’on entende bien ma pensée, et qu’on