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courtisanes. Du reste, depuis que l’empereur Kien-long a pris pour épouse du second rang une artiste, tous les rôles de femme sont remplis par des hommes, comme ils l’étaient dans l’antiquité, et comme ils le furent sur le théâtre anglais jusqu’en 1660, quarante-quatre ans après la mort de Shakspeare.

On cite, parmi les traits qui déshonorèrent l’empereur Tchoang-song, au Xe siècle, d’avoir donné sa confiance à un acteur nommé King-tsin, qui était son œil et son oreille, et auquel les plus grands mandarins cédaient la place en présence du prince.

Les renseignemens que nous possédons sur le théâtre chinois semblent donc assez contradictoires. Il est évident d’abord que le théâtre en Chine est frappé d’une sorte de défaveur par la classe dominante, celle qui tient la place qu’occupent ailleurs l’aristocratie et le clergé, et qui est en même temps toute l’administration, la classe des lettrés. Cependant ce sont des lettrés qui ont écrit les pièces jusqu’ici traduites. Quelques-unes, qui ne le sont pas encore, le Pi-pa-ki et le Si-siang-ki, passent pour des chefs-d’œuvre d’élégance, et font les délices des esprits cultivés.

Peut-être ces assertions diverses se restreignent seulement, au lieu de se contredire. En attendant des documens plus complets sur le théâtre chinois, il faut recueillir et noter tout ce que nous en pouvons connaître ; il faut surtout se garder de supprimer un fait qu’un autre paraît exclure. Une étude attentive peut concilier deux dépositions qui ne s’accordent pas. Il n’est pas permis de simplifier un procès en supprimant un des témoignages.

Du reste, on ne doit pas confondre des pièces telles que celles qui ont été traduites, dont le ton est décent, le sujet grave et souvent pathétique, qui sont entremêlées de morceaux en vers, récités ou chantés, et qui décèlent dans les auteurs une certaine connaissance de l’histoire, de la philosophie, de la poésie chinoises, avec les pantomimes grossières, les bouffonneries grotesques dont plusieurs voyageurs ont été témoins. Les huit pièces traduites sont toutes tirées d’une collection considérable, formée sous la dynastie mongole des Youen. On sait que l’art dramatique a été cultivé sous cette dynastie par des hommes instruits, car on possède la liste de quatre-vingt-un lettrés, auteurs de quatre cent quarante-huit pièces de théâtre. Il faut y joindre les onze pièces composées par quatre courtisanes célèbres, car M. Bazin nous apprend, dans sa préface, que les courtisanes savantes doivent connaître la musique vocale, la danse, la flûte, la guitare, l’histoire et la philosophie. La seconde pièce, traduite par