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DU THÉÂTRE CHINOIS.

des ouvrages qui sont écrits comme on parle ; mais ce n’est pas pour nous une raison de les mépriser. Un savant du XVe siècle se serait gardé de citer les soties populaires de son temps, et combien de volumes de scolastique ne donnerions-nous pas cependant pour la farce de l’Avocat Patelin !

Les Chinois ont la passion du théâtre ; les représentations dramatiques font partie de toutes les fêtes, de tous les divertissemens. La réception des ambassadeurs est accompagnée de scènes exécutées sur le théâtre impérial. La ville seule de Péking compte, pendant que la cour y réside, sept cents troupes d’acteurs : chacune est composée de huit ou dix personnes soumises au directeur, et presque ses esclaves. Les particuliers opulens font jouer des pièces devant eux pendant leurs repas, comme le faisaient les Romains dans les derniers temps de l’empire. Ceux qui sont moins riches se cotisent, dans chaque quartier, pour avoir deux fois par an une sorte de théâtre public qui dure six ou huit jours. Enfin, cette population misérable, qui vit sur les fleuves et n’a pas de domicile terrestre, forme dans son sein des comédiens et a son théâtre flottant. Cette passion si vive et si universelle pour les plaisirs de la scène est le signe d’une civilisation très avancée et très répandue ; ces plaisirs sont des plaisirs raffinés que les peuples barbares ne sont pas capables de goûter, et qui restent les derniers aux peuples déchus.

Partout l’art dramatique a commencé par des troupes ambulantes, depuis le chariot de Thespis jusqu’aux pèlerins qui jouaient les mystères. Le moment où les acteurs deviennent sédentaires, où un local leur est attribué, est un moment décisif dans leur existence. Le théâtre commence véritablement quand il cesse d’être errant et mobile pour devenir stable et fixé. Alors seulement il y a une scène ; avant, il n’y a que des tréteaux.

Le drame chinois, il faut l’avouer, en est encore à cette première période. Il n’existe pas en Chine de salle de spectacle ; pourtant l’empereur a un théâtre dans son palais ; mais, comme on pense, il n’est point public, il est destiné seulement aux représentations qui ont lieu en présence du souverain pendant les festins et les audiences. Ce théâtre fait partie de la décoration et du mobilier impérial.

Toutes les troupes d’acteurs courent donc le pays[1], s’arrêtant

  1. Dans le fragment du San-koue-tchi, roman historique chinois, traduit par M. Julien, il est dit (page 147) d’une jeune fille que dès son enfance elle avait été admise parmi les comédiennes du ministre Wang-yun. Cela donnerait l’idée que le ministre avait une troupe de comédiens à lui. Mais peut-être comédienne est ici pour danseuse, chanteuse, et n’indique pas précisément une actrice dramatique.