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DE L’AMÉRIQUE DU SUD.

sont guère plus loin que New-Yorck de Caracas ou de Buenos-Ayres, et, par notre caractère, par notre langue, par l’identité de religion, nous avons bien plus de rapports sympathiques avec les Américains du sud, que les citoyens des États-Unis. Il n’y a pas de peuple au monde qui s’accommode plus facilement que le Français à des mœurs étrangères ; il n’y en a pas dont la haute sociabilité les pénètre et les attire à lui plus aisément. Il n’apporte dans ses relations avec ce qui diffère de lui ni intolérance ni orgueil. Tout comprendre et tout réfléchir, sans perdre sa nature intime, voilà la gloire du caractère français ; agir sur tout par une force spontanée, douce et néanmoins irrésistible voilà sa puissance. C’est, répétons-le, le plus haut degré de la sociabilité humaine. Renoncer à exercer cette puissance précisément là où elle trouverait un champ mieux préparé, ne serait-ce pas, de la part de la France, un crime et envers elle-même et envers l’Amérique.

En effet, qu’on y pense bien, à mesure que les chances de guerre s’éloignent, il devient plus indispensable de préparer des alimens à l’activité du caractère national. On ne peut prétendre à concentrer toute cette activité dans le pays, non qu’elle ne dût trouver à s’y employer utilement, mais surtout parce que les résultats ne sont pas de nature à frapper assez vivement les imaginations. Ce qui fait qu’en France il faut de l’imagination aux hommes d’état c’est que le peuple en aura toujours plus qu’eux. Eh bien ! cette imagination qui a fait faire à la France de si grandes choses dans le monde, il faut songer à la contenter. De l’ordre et de l’économie dans les finances de l’état, des lois honnêtes et sages, c’est bien sans doute, et il en faut. Mais avec cela on ne passionne pas les peuples, on ne fait pas battre le cœur des grandes masses d’hommes, on ne remue pas leur imagination. Pour jeter du merveilleux et de la poésie dans le positif de la vie des nations, il faut, quand on n’entre pas tous les ans dans une capitale ennemie, aller chercher le merveilleux et la poésie en Orient, ou le long des fleuves géans de l’Amérique, dans les profondeurs mystérieuses de ses forêts, dans les flancs insondés de ses Cordillières. Voilà l’œuvre à laquelle nous croyons que tout ce qu’il y a d’esprits élevés et de nobles cœurs dans l’Amérique du sud, doivent, au nom de l’humanité, convier la France et l’Europe.


C. L. B.