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à aussi bonne fin, nous ne savons pour quel motif. Au reste, il n’y a pas lieu de le regretter bien vivement. Il faut peut-être qu’une génération tout entière disparaisse, avant que de part et d’autre on se revoie et l’on se mêle sans aigreur et sans défiance. Les haines nationales ne se sont adoucies d’une manière sensible entre l’Angleterre et les États-Unis que plus de trente-six ans après la grande lutte des deux peuples, et encore a-t-on vu récemment sur la frontière du Canada que tout sentiment de cette nature n’était pas éteint dans le cœur des populations. D’ailleurs, l’Espagne appauvrie, épuisée, presque sans manufactures et sans commerce, obligée de beaucoup emprunter à d’autres nations de l’Europe, a trop à faire chez elle, pour aller chercher au-delà de l’Océan des champs à défricher, des villes à rebâtir et à repeupler, les plaies de la guerre à cicatriser. Mais un jour viendra où ses vaisseaux et ses enfans reprendront le chemin de ces contrées où règne sa langue, et où sa domination laissera dans les mœurs des traces ineffaçables.

La France doit s’occuper d’autant plus des affaires de l’Amérique du sud, qu’une autre influence, une influence des plus actives, des plus ambitieuses, des plus exclusives, tend à s’y établir ; c’est l’influence des États-Unis. Elle est, non pas à repousser et à craindre, mais à surveiller et à contenir dans l’intérêt de l’Europe ; et en cela nos vues trouveront généralement un auxiliaire dans l’instinct des nouveaux gouvernemens. Ce n’est pas que l’action des États-Unis ne puisse s’exercer utilement dans ces républiques naissantes qui en ont copié les institutions un peu au hasard, et que l’esprit entreprenant de l’Américain du Nord ne puisse se donner carrière dans l’autre moitié du même continent. Nous ne sommes ni aussi injustes, ni aussi exclusifs, et ce serait d’ailleurs en pure perte, car la nature a fait elle-même une large part à l’influence des États-Unis le long des deux océans qui baignent leurs rivages. Tout ce que nous voulons dire, c’est que l’Europe pourrait se repentir un jour d’avoir laissé envahir toute l’Amérique par un même esprit. Sans doute il y a place pour tout le monde au soleil ; mais nous craindrions que les États-Unis ne voulussent y faire la leur trop grande. La politique de ce gouvernement envers les faibles puissances qui occupent le reste du Nouveau-Monde, depuis le Texas jusqu’au détroit de Magellan, n’a pas été, ne serait pas assez désintéressée. Elle est très remuante ; elle exige beaucoup ; on la tient à bon droit pour suspecte, et cependant on subit une prépondérance dont l’Europe, du moins, ne doit pas désirer l’accroissement. Après tout, le Havre et Bordeaux ne