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NAVIGATION À LA VAPEUR.

ration, n’hésitent pas à annoncer, long-temps avant qu’aucun essai n’ait pu être tenté, des résultats que les imaginations les plus aventureuses, parmi leurs contemporains, repoussent comme des hallucinations de malades, ægri somnia, et auxquels cependant l’avenir donne raison. Ainsi en 1788, vingt ans avant que Fulton n’eut construit ses steamboats, Fitch, de Philadelphie, déclare qu’un jour la machine à vapeur mettra en communication directe l’ancien et le Nouveau-Monde, et prédit les miraculeux voyages des Sirius et des Great-Western. On conçoit du reste qu’il en soit ainsi : l’enfantement du fait ne se produit que lorsque la pensée humaine l’a, pendant un temps, élaboré, appelé et énergiquement voulu.

Avant d’entrer dans quelques détails sur les récentes merveilles de la navigation à vapeur, traçons rapidement le tableau de ses progrès, et constatons son état présent dans les pays où elle a été le plus favorisée, c’est-à-dire en Angleterre, aux États-Unis et en France.

On sait que la première application des machines à vapeur à la navigation est, comme tant d’autres inventions, revendiquée par plusieurs peuples. Papin, en France, en 1696 ; Jonathan-Hull et Patrick Miller, en Angleterre, de 1740 à 1787 ; plus tard, Fulton dans l’Amérique du Nord, voilà les divers concurrens auxquels on attribue ou entre lesquels on partage la gloire d’avoir dompté les flots à l’aide du plus puissant agent des temps modernes. Quoi qu’il en soit, et sans entrer ici dans ce débat de priorité, reconnaissons seulement que le premier bateau à vapeur qui n’ait pas été rejeté après l’essai, le premier qui ait servi de base à une spéculation industrielle, est celui que Fulton construisit à New-York en 1807, et qui fit le voyage de cette ville à Albany. En Angleterre, le premier bateau à vapeur qu’on y ait vu en activité pour les besoins du commerce et des voyageurs, date de 1812 seulement ; il naviguait sur la Clyde et s’appelait la Comète. Sa force n’excédait pas trois chevaux. 1813 en vit deux autres s’établir entre Yarmouth et Norwich. Jusqu’en 1821, la force des bateaux à vapeur de l’Angleterre n’avait pas dépassé celle de 80 chevaux. On en compte aujourd’hui sur la Mersey et la Tamise un nombre considérable qui ont la force de 120 chevaux. Ceux qui font le cabotage s’élèvent de 140 à 200 chevaux. Depuis les premiers essais que nous venons de signaler, le nombre des bâtimens à vapeur s’est tellement multiplié dans la Grande-Bretagne, qu’au rapport de M. Porter, du Board of Trade, auquel nous empruntons les détails suivans[1], elle en compte aujourd’hui 600, présentant un tonnage de près de 68,000 tonneaux. Ainsi, en vingt-quatre ans, il a été lancé en Angleterre une moyenne annuelle de 25 bateaux à vapeur. Hâtons-nous d’ajouter que les progrès les plus rapides appartiennent aux six dernières années, qui, réunies, donnent à elles seules un total de 306 nouveaux bâtimens.

Voici, au surplus, quels étaient, d’après les documens fournis par le con-

  1. Progress of the Nation, vol. II, pag. 46.