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SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

et de navires qu’il n’y a de mouettes sur le roc de Saint-Kilda. Quand la mer est haute, ses vagues tournoient, se soulèvent, bondissent et décrivent toutes sortes d’évolutions terribles autour des rocs qui servent de soupiraux au gouffre. Tout à l’heure, quand nous allons arriver au Corryvrekan, si, comme je le crains, la marée est trop forte, nous serons obligés de faire le tour de l’île de Scarba, plutôt que de passer par ce terrible couloir, car, malgré la pierre du jeune homme, notre barque et tout son équipage seraient bientôt engloutis. »

Une heure après ce dialogue, notre barque se présentait à l’entrée du whirlpool de Corryvrekan. La mer s’y engouffrait avec fureur ; ses vagues s’élevaient à une hauteur énorme, retombaient avec fracas, et faisaient jaillir au loin des masses d’écume et des nuages de brouillard ; le patron regarda avec inquiétude en avant de la barque, se saisit du gouvernail, vira de bord, et nous fîmes un demi-tour du côté de l’est, longeant le terrible whirlpool auquel Vrekan, le pirate norwégien, qui s’y perdit, a laissé son nom. Justement, au moment où nous tournions le dos au gouffre, un beau bâtiment à vapeur de Glasgow, qui revenait de l’île de Skye, s’y engageait sans hésiter, luttant victorieusement contre la furie des vagues et se perdant dans le nuage d’écume et de vapeur qui s’élevait du fond du gouffre. « Nous sommes arrivés trop tard, dit le patron ; la marée est haute, et mieux vaut faire une quinzaine de milles de plus par une jolie mer que de courir le risque de descendre dans le whirlpool. Qu’en dites-vous ? ajouta-t-il en s’adressant à notre crédule compagnon qui, tout à l’heure, au moment d’entrer dans le détroit, était fort pâle et paraissait avoir perdu un peu de sa confiance dans la puissance de son talisman. — Saint Columba nous eût tirés d’affaire, dit l’insulaire en levant les yeux et en regardant dévotement autour de lui pour être bien assuré que nous tournions toujours le dos au gouffre. — Si je prenais le camarade au mot et si je lui faisais courir quelques bordées à l’entrée du Corryvrekan, il aurait bientôt changé d’avis, murmura le patron en levant les épaules de pitié ; mais nous n’avons pas de temps à perdre, car c’est une dure promenade que le tour de l’île de Scarba, et il ne faudrait pas trouver le reflux de l’autre côté de Corryvrekan. » La mer, en effet, était fort agitée autour de l’île de Scarba, mais surtout dans le détroit qui sépare cette île des îlots de Lunga. Néanmoins, après trois heures d’une pénible navigation, nous avions passé sous le vent du Corryvrekan, et nous naviguions paisiblement dans le Sound de Jura. La journée était avancée quand nous débarquâmes dans cette île, au port de Tarbet.

Jura n’est qu’un énorme rocher de trente milles de longueur sur cinq à six milles au plus de largeur. La chaîne rocailleuse qui forme le corps de l’île est surmontée de deux monstrueux pitons qu’on appelle les paps of Jura. Du côté de l’ouest et du sud, le rocher se relève et se découpe en longues falaises qui pendent sur la mer ; du côté de l’est et du nord, les pentes s’abaissent insensiblement, et une plaine étroite s’étend entre la mer et les derniers