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COURS DE LITTÉRATURE FRANÇAISE.

sommes si riches de fonds, que nous avons, en vérité, bien le droit de mépriser la forme, et de ne pas nous embarrasser de la propriété des mots, de la construction des phrases, du choix des termes, comme ces fabricans de paroles du XVIIIe siècle, Montesquieu, Rousseau, Buffon !

M. Villemain est un des derniers et des plus fidèles dépositaires du bon goût. Ce qu’il prescrit il le fait, et si quelque chose pouvait nous rappeler au respect des lois du beau, à l’amour et à l’étude des modèles, ce serait cette critique qui semble se monter au ton des grands écrivains qu’elle juge, et prendre les formes de leur talent pour en mieux faire sentir le charme. En appréciant Fontenelle, M. Villemain est fin et délicat comme lui. Son expression est grave, brillante, légère, éloquente, selon le génie des divers membres de cette glorieuse tribu d’écrivains qu’il passe en revue. L’histoire, la biographie, les détails de mœurs vivifient sa critique ; une inflexible morale, un dévouement vrai et de cœur à tout ce qui honore, console et relève l’humanité, la liberté, la religion, la vérité, semblent rendre encore son goût plus pur et plus sévère ; cet enchaînement de tableaux historiques, d’anecdotes racontées avec l’esprit le plus brillant, de réflexions morales et d’analyses judicieuses et profondes, qui se mêlent sans confusion, conduit le lecteur jusqu’au bout du livre sans qu’il ait un moment l’envie de s’arrêter. On n’a pas fait, depuis bien des années, un ouvrage plus piquant et plus instructif, plus propre à être goûté par tout le monde, jeunes et vieux ; le succès a été complet ; il devait l’être. Et pourtant ce sont bien là les leçons que M. Villemain improvisait à la Sorbonne au milieu de nos applaudissemens, et souvent au bruit de la foule qui se pressait aux portes ! Je les reconnais ; je retrouve mes vieilles impressions. Voilà ces mots heureux, ces expressions énergiques et vives, qui sortaient comme d’elles-mêmes de la bouche du professeur ! Je me souviens avec quelle grâce M. Villemain nous contait ces anecdotes, avec quelle finesse malicieuse il aiguisait en épigramme la fin de ce compliment ! Que le maître reçoive donc encore une fois les applaudissemens de ses disciples. Leur reconnaissance et leur affection le suivront partout ; cet ouvrage, nous l’avons presque fait ensemble : pendant que M. Villemain nous échauffait le cœur par sa parole éloquente, nous l’inspirions par le désir qu’il avait de nous faire goûter le beau et aimer le bien.


Silv. de Sacy