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COURS DE LITTÉRATURE FRANÇAISE.

rale, une cause plus noble, source d’égaremens, mais source féconde de découvertes hardies et sublimes. Cette cause, c’est le procédé même, c’est la méthode employée par le XVIIIe siècle. Mécontens de tout ce qu’ils avaient sous les yeux, de la société qu’ils méprisaient en partageant ses désordres, d’un gouvernement hypocrite et lâche qui les persécutait plus pour le bien qu’ils pouvaient faire que pour le mal qu’ils faisaient, et souvent aussi, je le crois, mécontens d’eux-mêmes, les écrivains du XVIIIe siècle, dans leurs recherches morales et politiques, ont voulu remonter tout droit et par la seule vigueur de leur esprit à la vérité absolue. Comme Descartes, ils ont fermé les yeux ; ils ont tâché d’oublier tout ce qu’ils avaient appris, tout ce qu’ils avaient vu ; ils ne se sont embarrassés ni des traditions, ni des lois, ni des mœurs ; ils n’ont pas cherché la nature humaine dans les hommes, mais dans l’image de l’homme, telle que leur esprit se la formait. Quoi ! l’homme, serait-ce cette cohue de gens de loi, de magistrats, de marchands, qui du matin au soir vendent et achètent, aunent du drap, criaillent au palais ou rendent des arrêts dans un style ridicule ? L’homme, serait-ce ces bourgeois qui, pour que leur mariage soit légitime, ont besoin d’un curé escorté d’un bedeau ; qui, pour élever leurs enfans, les envoient au collége griffonner des thèmes, et pour honorer Dieu s’en vont à vêpres chanter des psaumes dans un latin barbare ? Serait-ce encore ces grands seigneurs dont la vanité se rengorge des flatteries d’un monde de valets ? La belle étude que celle de tous ces gens-là pour un philosophe ! Imaginons l’homme, puis nous imaginerons pour lui une société, des lois, et, si cela ne ressemble guère à ce qu’on a vu jusqu’ici, tant mieux !

Cette méthode qui a surtout été celle de Rousseau, et, après lui, de tant d’autres, est admirable, je l’avoue, pour abattre les préjugés ; elle est nécessaire, je crois, à certaines époques pour débarrasser l’esprit d’une multitude de conventions arbitraires qui l’oppriment, et rafraîchir en lui le sentiment et le goût du vrai ; il est bon que la société soit soumise, de loin en loin, à ces orages qui l’épurent : sans cela, tout finirait par être une affaire de forme ; la religion dégénérerait en idolâtrie, les rapports les plus doux de la société en complimens, le pouvoir et l’obéissance en réglemens de police. Le temple resterait debout, le Dieu n’y serait plus. Mais il faut convenir aussi que cette méthode est terriblement hasardeuse, et qu’il est comme impossible qu’en recréant, pour ainsi dire, l’homme et la société, la philosophie ne prenne pas souvent ses caprices pour l’œuvre de Dieu et de la nature. Voyez Rousseau ! À force de vouloir