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être, que les anciens nous ont laissé de la vertu politique. Si on descend plus bas et jusqu’à certains écrivains du second et du troisième ordre dans le XVIIIe siècle, oh ! pour le coup, la vertu, c’est le vice tout bonnement, le vice effronté, déclamateur, content de lui-même. Convenez que les Bijoux indiscrets font un singulier effet à côté de ce titre magnifique de philosophe, et que Leibnitz ou Descartes, sans remonter plus haut, auraient eu de la peine à reconnaître la philosophie et l’idée de la vertu dans Jacques le Fataliste.

S’il faut juger d’un système par son dernier mot, et de l’esprit d’un siècle par sa fin, la philosophie du XVIIIe siècle, serait-ce un épicuréisme tout cru, tout vert, un matérialisme brutal ? Le XVIIIe siècle aurait-il trouvé la morale si étroitement unie au christianisme qu’il n’aurait pu attaquer celui-ci sans briser celle-là ? Aurait-il été obligé de favoriser les mauvais penchans du cœur pour ébranler la foi et de passer par la corruption pour arriver à l’incrédulité ? Ce serait un grand éloge et une magnifique apologie pour le christianisme ! Vrai ou faux dans un sens absolu, il faudrait au moins que le christianisme eût une vérité relative bien extraordinaire et fût entré bien avant dans la connaissance de l’homme pour s’identifier avec ses plus nobles penchans et avec toutes les vérités morales et sociales ! Faut-il attribuer les égaremens du XVIIIe siècle à cette espèce d’entraînement qui pousse les esprits d’un excès à l’autre, et ne sait pas plus tenir le milieu dans la liberté que dans la soumission ? Est-ce une loi fatale qu’on ne s’affranchisse du joug que pour tomber dans la licence, et Voltaire ne pouvait-il être l’apôtre de la tolérance sans l’être du cynisme et de l’impiété ? La licence des écrivains de ce temps est-elle enfin une faute du temps lui-même ? L’excuse de leur immoralité est-elle dans l’hypocrisie des prêcheurs officiels de morale ; l’excuse de leur impiété dans l’incrédulité des ministres de la foi qui, ne croyant plus, persécutaient encore ; l’excuse de leur acharnement à frapper pêle-mêle les abus et les vérités sociales dans le défaut de liberté publique ? Si Voltaire eût pu faire imprimer publiquement à Paris ce qu’il y a de bon et de sain dans sa philosophie, n’eût-il pas fait imprimer clandestinement en Hollande ses vers licencieux et ceux de ses ouvrages où le scepticisme va jusqu’à l’impiété ? Ou, en tous cas, la liberté eût-elle élevé une concurrence d’esprits religieux et moraux qui se seraient chargés de faire front à la licence que les arrêts du parlement, la Bastille et la censure ennoblissaient et n’étouffaient pas ?

Cette opinion paraît être celle de M. Villemain. Il y revient sou-