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COURS DE LITTÉRATURE FRANÇAISE.

étudie le faible et les vices de ses maîtres pour entrer plus avant dans leur confiance et dans leur familiarité. C’est un hommage, une adoration, un culte, si l’on veut, mais un culte sincère, qui s’adresse à la grandeur, à la naissance, aux dignités, puissances dans lesquelles le XVIIe siècle avait foi. Cette foi, le XVIIIe siècle ne l’avait plus. Il flatte et il se moque dans l’ame de ses flatteries. Il est courtisan et il n’est pas sujet soumis et respectueux. Voltaire, il est vrai, aimait naturellement les grands seigneurs, tout en les méprisant. Sa philosophie épicurienne est faite pour les gens comme il faut et pour les traitans, surtout pour les gens qui ont un bon estomac, des maîtresses et une loge au spectacle ; elle aurait de la peine à se passer de cent mille livres de rente. Voltaire flattait donc les grands seigneurs, les riches, les puissans, par un penchant naturel qui n’en est pas plus estimable ; il se rapprochait d’eux par une communauté de morale légère et de goût du faste et du plaisir. Il leur allait au cœur par ses poèmes libertins, et savait admirablement l’art de faire passer ses hardiesses en philosophie, et même en politique, sous le couvert d’un conte licencieux.

J’en suis fâché pour le XVIIIe siècle et pour sa littérature, si belle à d’autres égards ; son immoralité est une tache que tant d’éloquence et de génie n’effacera pas. On se demande, malgré soi, si cette philosophie était sérieuse, si elle avait réellement pour but d’élever et d’épurer l’esprit humain en l’affranchissant, ou de mettre les passions à l’aise en corrompant le cœur. Je ne vois pas que, dans l’antiquité, Socrate et Platon, Cicéron et Sénèque, qui ne se gênaient certes pas avec les préjugés et les superstitions de leur temps, aient profité de la liberté d’esprit qu’ils se donnaient pour relâcher aussi la morale, qui est la règle du cœur, tandis que, par une triste fatalité, je ne sais quel air de corruption respire jusque dans les écrivains les plus graves du XVIIIe siècle ; il y a toujours, dans leurs ouvrages, quels qu’ils soient, un coin pour la licence. On a peine à se former une idée exacte de ce qu’ils appellent la vertu, quoique ce mot revienne à tout bout de champ sous leur plume. Dans Voltaire, il semble que la vertu, ce soit l’art de jouir de la vie le plus possible, et de parer le plaisir d’un certain vernis d’élégance. Dans Rousseau, c’est une exaltation de l’imagination, une sorte de mysticisme philosophique qui se passe tout en rêves, en pensées sublimes, et ne s’abaisse pas jusqu’à l’humble et terrestre soin de régler les actions et de les soumettre à la loi bourgeoise du devoir. Dans Montesquieu même, la vertu ne s’élève guère au-dessus du type assez grossier, et imaginaire peut-