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caché, que M. Villemain ne l’ait découvert, et le pieux Mesenguy, dont je croyais bien le nom oublié partout ailleurs que dans le ciel, a sa place à côté de vingt poètes auxquels il est arrivé de rencontrer un vers heureux.

Ce n’est pas tout. Les deux littératures de l’antiquité et la littérature française depuis son origine jusqu’à ce que j’ai bien peur qu’il ne faille appeler sa fin, ne se sont pas partagé tout le temps de M. Villemain et toute son ardeur de savoir et de comparer : M. Villemain connaît la littérature anglaise aussi bien que la nôtre. Cela est fâcheux quelquefois pour nous ; non pas que M. Villemain ne soit un admirateur passionné de notre littérature ; mais la passion n’est guère exclusive et fanatique que quand elle est ignorante. M. Villemain en sait trop pour croire que nous ayons tout embelli. Voltaire, qui ne souffrait pas la comparaison avec Sophocle, se fâcherait fort de voir la préférence qu’avec tous les respects et tous les ménagemens du monde M. Villemain se hasarde quelquefois à donner à Shakspeare. Cette science des littératures comparées relève la critique de M. Villemain jusqu’à la hauteur d’une analyse de l’esprit humain. Sous des formes littéraires, c’est une philosophie profonde et judicieuse, et les lois du goût, par le rapprochement de ce qui a plu aux hommes de tous les temps et de tous les pays, prennent un caractère de nécessité qui les rattache à Dieu même ou à la nature des choses. Tant de science, je l’avoue, n’est pas indispensable pour sentir le beau et le vrai ; les hommes de génie s’en passent fort bien, et il y a des siècles heureux où le goût est comme une grace naturelle et simple qui se répand sur tout le monde et qu’on apporte en naissant : cette grace-là, il ne faut pas nous la demander à nous. À sa place, ce que nous devons chercher, c’est un art savant qui n’est ni la poésie, ni la grande éloquence, mais qui les imite par un effort de réflexion et par un profond retour sur soi-même et sur les autres ; notre temps est celui de la critique. Ne le dédaignons pas pour cela ; car la critique a aussi sa place, et une glorieuse place, dans l’histoire des lettres, et, en voulant être naïfs, nous ne serions plus que ridicules ; notre ignorance préméditée, pour être gauche, n’aurait pas l’air plus naturel et plus inspiré que la science.

M. Villemain qui a, je pense, autant d’esprit naturel et de talent inné que qui que ce soit, a tout lu. Non seulement il connaît les livres ; il sait leur histoire, leur histoire publique et privée. Il vous dira quel jour ils sont nés, sous l’influence de quel signe, comment ils ont fait leur fortune et souvent aussi comment ils l’ont perdue. Cette