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ques, comme nous lui attribuons celui de conduire l’esprit au seuil même de la véritable science. N’est-ce pas là une nouvelle preuve, si elle était nécessaire, que la théologie et l’ontologie se disputent les mêmes principes et les mêmes vérités ?

Il était naturel et il a été salutaire que la rénovation des études, pour l’histoire de la philosophie, commençât, en France, par Platon, dont nous nous proposons d’examiner dans cette Revue le système, tant avec le secours des argumens et de la traduction de M. Cousin, qu’à l’aide des travaux de Schleiermacher et d’autres savans de l’Allemagne. La vive imagination du brillant traducteur de l’élève de Socrate, se plut à considérer le platonisme comme le représentant le plus illustre du spiritualisme et de la liberté du genre humain, et il en voulut même suivre, dans Proclus, le dénouement tragique. Nous croyons que, dans le cours de ses travaux, M. Cousin a modifié plusieurs de ses premières pensées, à mesure qu’il embrassait davantage l’étendue de la science, et nous mettons au nombre des témoignages de ces heureux développemens l’impulsion qu’il s’est empressé d’imprimer à l’étude du péripatétisme. M. Cousin n’est plus aujourd’hui un platonicien, mais l’historien impartial de toute la philosophie. Il prodigue ses soins à organiser l’histoire entière de la science, tant par ses propres efforts, que par ceux de ses amis et de ses élèves ; voilà une œuvre consciencieuse et forte, vraiment utile à ses contemporains et à sa renommée.

Nous avons esquissé l’an dernier les circonstances historiques au milieu desquelles vécut Aristote, l’ensemble de ses œuvres, et nous avons insisté sur la valeur de ses travaux politiques[1]. Aujourd’hui sa métaphysique et sa logique nous occuperont. Ce n’est pas chose vaine et légère que de sonder les pensées les plus intimes de ce grand homme dont la tradition commence la philosophie moderne, après l’incorporation du platonisme dans la théologie chrétienne. Puis Aristote ne fut pas seulement le docteur de l’église de Jésus-Christ, mais aussi des sectateurs de Mahomet : non-seulement on enseigna sa philosophie à Oxford, à Cologne, à Paris, mais à Damas, à Bagdad, à Cordoue, à Séville. Pendant que, dans l’Inde et dans la Chine, la religion et la philosophie restaient confondues ensemble, Aristote était reconnu pour maître de la pensée et du raisonnement par les deux religions unitaires et déistes qui ont la même origine historique, car toutes deux vont se perdre dans le sein d’Abraham le Chaldéen.

  1. Revue des Deux Mondes du 15 août 1837, tom. IX, pag. 585, Politique d’Aristote.