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de vengeance. Abbas-Mirza, son fils favori et son successeur désigné, entretint de tout son pouvoir les ressentimens de son père. Ce prince belliqueux brûlait de se mesurer avec les Russes, et il comptait sur un appui efficace de la part des montagnards du Caucase et de la population tartare des provinces cédées par la Perse. Il chercha à organiser des troupes régulières et attira à son service des officiers français et anglais, pour instruire et exercer ses Persans. Il réussit à former, dans sa province d’Adzarbaidjan, dix-huit bataillons de troupes assez bien disciplinées, qu’on appelait sarbases, et il établit à Tauris, sa résidence ordinaire, une fonderie de canons et une manufacture d’armes. Pendant tous ces préparatifs, on reçut en Perse la nouvelle de la conspiration qui avait éclaté à Saint-Pétersbourg à l’avènement de l’empereur Nicolas. L’évènement fut sans doute embelli dans le goût oriental, et Abbas-Mirza put croire que toute la Russie, ou du moins toute l’armée russe, était en pleine insurrection. Il pensa que le moment était venu de reprendre aux Russes leurs conquêtes ; il sut persuader au chah qu’il ne fallait pas laisser échapper une occasion aussi favorable, et Feth-Ali l’autorisa à faire passer la frontière à ses troupes.

Au commencement de 1826, l’empereur de Russie avait envoyé le prince Menzikof pour annoncer au chah son avènement au trône et terminer les arrangemens relatifs aux frontières. Abbas-Mirza le reçut d’abord à Tauris, où Menzikof put se convaincre qu’on se disposait à la guerre ; le prince crut alors n’avoir rien de mieux à faire que de quitter la Perse. On le retint quelque temps à Erivan, et le serdar de cette ville forma un complot contre sa vie. Voulant le faire assassiner en route et rejeter ensuite le meurtre sur les tribus kourdes qui parcourent le pays, il lui désigna sa route pour s’en retourner ; mais le prince Menzikof, qui devina son projet criminel, prit un autre chemin et atteignit heureusement la frontière russe. Avant qu’il n’y fût parvenu, la nouvelle du siége de Choucha par Abbas-Mirza s’était déjà répandue.

Avant d’en venir au récit des évènemens de la guerre, il est bon de donner une idée des forces dont la Perse pouvait disposer. Nous avons déjà dit qu’Abbas-Mirza avait organisé quelques bataillons disciplinés à l’européenne ; mais la Perse possède en outre une multitude de troupes irrégulières qui doivent se mettre en campagne à la première réquisition du chah : c’est le contingent fourni par certaines tribus guerrières qui forment des espèces de colonies militaires et qui composent la plus grande partie de la population. On compte