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ÉTABLISSEMENS RUSSES DANS L'ASIE OCCIDENTALE.

échanson (Dadian) des rois géorgiens. Un de ces grands-échansons finit par faire de la Mingrélie une principauté indépendante ; mais le nom de Sa-Dadiano est resté à cette province, et son souverain actuel s’appelle encore Dadian. Dans le dernier siècle, la Géorgie et la Mingrélie eurent à subir, l’une et l’autre, la domination des Turcs ; puis, la paix conclue entre la Russie et la Porte les rendit au roi Salomon de Géorgie, leur ancien souverain. Ce prince, mort en 1784, réduisit à une soumission complète le Dadian de Mingrélie, qui supportait impatiemment la suzeraineté géorgienne. Plus tard, quand la Géorgie fut envahie par les Persans, la Mingrélie secoua de nouveau le joug, puis elle finit par se placer sous la protection de la Russie. Le Dadian qui gouvernait la Mingrélie, en 1825, était un homme éclairé, et savait tout le parti qu’on pouvait tirer de cette belle et fertile province ; mais ses tentatives d’amélioration trouvaient de grandes résistances chez les nobles, chez les paysans et dans sa propre famille. Il était fort attaché à l’empereur de Russie, qui lui avait accordé le rang de lieutenant-général et le titre d’altesse sérénissime, et qui l’avait, en outre, chamarré de cordons. La manière de vivre du Dadian rappelle celle de quelques seigneurs du moyen-âge. Sa famille, sa suite et lui vivent uniquement de ce que les paysans apportent chaque jour pour la table de leur prince. S’il vient des hôtes en trop grand nombre, et que la provision quotidienne ne soit pas suffisante, un des nobles de la suite du Dadian se rend dans les villages voisins, et emmène le bétail des paysans. Il résulte de là, comme on peut le croire, beaucoup d’abus et de vexations ; de là vient aussi que le Dadian est obligé de changer souvent de résidence, parce que, quand un canton est épuisé, il faut passer à un autre. Le prince régnant lors du voyage de M. Eichwald avait voulu substituer à cet impôt en nature, souvent fort lourd, une légère redevance en argent ; mais il n’avait pas pu y réussir. Au reste, la Mingrélie, quoique bien pauvre et bien peu civilisée, a pourtant beaucoup gagné depuis Chardin, si les récits de ce voyageur sont exacts. Il est vrai que, de son temps, elle était le grand marché où les Turcs se fournissaient d’esclaves.

Cette province est séparée par le Phase de la Gourie dont le prince s’appelait le Gouriel, nom qui a souvent été donné au pays lui-même. Cette contrée, plus petite que la Mingrélie, est aussi fertile et peut-être encore plus pauvre. Son souverain reconnut, en 1810, la suzeraineté de la Russie. Après la mort du Gouriel Mamia, sa dignité avait passé à son fils mineur, auquel l’empereur avait donné un conseil de tutèle composé des principaux nobles du pays. Sophie, mère du