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sances une source de dangers dont le gouvernement de la restauration avait certainement compris la gravité, et qui auraient peut-être dû l’engager à se décider plus tôt. Je dis dangers, au point de vue de la restauration, qui, pour elle, était du reste politique et juste. Le danger, dont elle s’était rendu compte dès le premier moment, consistait dans l’influence acquise, par le fait de la reconnaissance des États-Unis, aux principes les plus démocratiques ; par celui de la reconnaissance de l’Angleterre, au prosélytisme protestant. Et ce ne fut pas une crainte chimérique. Les premiers agens envoyés par la France auprès des républiques américaines trouvèrent ces deux influences fortement établies chez la plupart d’entre elles, et les virent à l’œuvre. L’une et l’autre se manifestèrent dans quelques-unes des révolutions trop fréquentes qui agitèrent les nouveaux états et dans leurs rapports avec la cour de Rome pour affaires de religion. L’étroite union de la cour de Rome avec le cabinet de Madrid, les refus multipliés qu’opposa le saint-siége aux demandes d’admission faites par les envoyés de l’Amérique, des actes imprudens et des déclarations compromettantes, semblaient effectivement établir, entre le catholicisme de Rome et les prétendus droits de l’Espagne, une solidarité funeste. Des idées de séparation religieuse et d’église nationale se présentèrent donc naturellement aux esprits dans toute l’étendue de l’Amérique du sud ; les congrès furent saisis de propositions qui ne tendaient à rien moins qu’à une rupture éclatante avec le saint-siége, et ces propositions y furent souvent approuvées, bien que les gouvernemens, dans leur prudence, aient toujours hésité à leur donner suite.

Rien ne pouvait être plus contraire que les deux influences, politique et religieuse, dont nous avons parlé plus haut, au système général de la restauration. Si elle avait reconnu plus tôt l’indépendance des anciennes colonies espagnoles, son action y aurait été beaucoup plus puissante ; elle se serait établie avec bien plus d’autorité médiatrice entre Rome et les nouveaux gouvernemens, et elle aurait ainsi habilement confondu le triomphe de ses principes avec celui des intérêts de la France. Accordée en 1825 ou 1826, la reconnaissance de ces états aurait eu pour eux une véritable valeur, et on aurait pu en tirer parti. Mais après la révolution de juillet, ils n’y attachèrent plus autant d’importance. La plupart s’en montrèrent peu touchés, en reçurent froidement la nouvelle, et ne manifestèrent même pas un vif désir de resserrer leurs liens avec la France par des traités. La grande affaire des années précédentes avait été l’émancipation, l’é-