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errent les tribus nomades de la Tartarie indépendante. Pierre-le-Grand, parmi tant d’autres projets, conçut celui d’ouvrir à ses sujets le commerce de l’Inde par la mer Caspienne. Ce fut dans cet espoir qu’il se fit céder par le chah toutes les provinces persanes situées sur cette mer, lesquelles furent restituées peu après la mort de Pierre, et ont été depuis reconquises en partie par la Russie. Il est fort douteux que les déserts qui s’étendent soit à l’est, soit au sud de la mer Caspienne, soient destinés à redevenir la route du commerce de l’Asie, comme ils l’étaient avant la découverte du cap de Bonne-Espérance ; mais ce qui est beaucoup moins problématique, c’est l’ascendant sur la Perse qu’ont valu à la Russie ses conquêtes au midi du Caucase. Ce grand empire, dont la décadence déjà ancienne est peut-être encore plus irrémédiable que celle de l’empire ottoman, démantelé par les derniers traités et ouvert aux invasions de son puissant voisin du Nord, ne peut plus être considéré comme jouissant à son égard d’une véritable indépendance. Malgré l’alliance anglaise et les officiers anglais venus des Indes pour dresser les soldats du chah, on ne résiste pas plus à Tehran qu’à Constantinople aux volontés du cabinet de Saint-Pétersbourg, lequel attend patiemment que le temps, ce grand allié de toute puissance en progrès, lui fournisse des occasions favorables pour faire de nouveaux pas en avant[1]. Cette position par rapport à la Perse, est surtout due à la guerre de 1827 et au traité de Tourkmantchaï, qui en fut la suite : jusque-là les conquêtes des Russes étaient mal assurées, et une campagne malheureuse pouvait les rejeter au-delà du Caucase. Nous emprunterons à M. Eichwald des détails curieux sur cette guerre, sur celle de 1828 contre la Turquie, en tant que l’Asie en fut le théâtre, et enfin sur une troisième guerre plus récente, soutenue contre les montagnards du Daghestan, qu’avait soulevés un enthousiaste appelé Khasi-Mullah. Nous commencerons par quelques renseignemens sur les provinces russes situées à l’est et au midi de la chaîne caucasienne.

C’est pendant les années 1825 et 1826 que M. Eichwald fit le voyage dont il publie aujourd’hui la relation. Nommé professeur de zoologie à l’université de Cazan, il n’avait accepté cette chaire qu’à condition de faire, aux frais du gouvernement, un voyage autour de la mer Cas-

  1. Le bruit s’est répandu le mois dernier qu’une armée russe était entrée dans Tehran, et les Anglais s’en sont beaucoup émus. La nouvelle était fausse et invraisemblable ; il s’agissait uniquement de secours envoyés au chah, qui fait la guerre aux habitans du royaume d’Hérat, situé sur les frontières de l’Inde. Le cabinet de Saint-Pétersbourg n’a garde de se poser, vis-à-vis de la Perse, en ennemi et en conquérant ; il la protège, la conseille et la secourt, ce qui est bien plus habile et plus sûr.