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lui que l’on est redevable de ce résultat. Pour le moment il n’y a donc point de collision à redouter entre les deux flottes ; car celle de Méhémet-Ali ne prendra peut-être point la mer, et l’escadre turque, assez mal fournie, ne fera pas une expédition de longue durée. Je ne crois pas non plus que la guerre s’engage sur le continent de l’Asie ; au moins est-il certain que le pacha d’Égypte ne prendra point l’initiative des hostilités. Il s’y est engagé solennellement, et d’ailleurs, ses troupes sont encore occupées à réprimer l’insurrection des Druses, qui a donné tant de mal à Ibrahim-Pacha, gouverneur-général de Syrie. Cependant, gardez-vous, monsieur, d’ajouter foi aux exagérations de la presse allemande, du journal de Smyrne et de quelques feuilles anglaises, sur les prétendus dangers que cette insurrection aurait fait courir à la domination égyptienne. Grâce à Dieu, elle ne chancelle pas ainsi au moindre vent, et depuis 1833, elle a jeté, en Syrie, des racines assez profondes pour résister à une révolte de quelques montagnards. Les insurgés du Hauran ont obtenu çà et là de faibles succès, dont le principal mérite revient à la nature du pays où ils opèrent. Mais des mesures énergiques et bien combinées, des forces supérieures, la discipline et la tactique des troupes égyptiennes, aidées de tous les moyens matériels que le vice-roi ne cesse d’emprunter à la science militaire de l’Europe, ont fini par avoir raison de la valeur sauvage des Druses. Les dernières nouvelles certaines du théâtre de la guerre portent que les rebelles, pris entre deux feux, ont été écrasés par les forces d’Ibrahim-Pacha, et qu’après une telle défaite, ils l’empêcheront difficilement de pénétrer jusqu’au cœur de leurs montagnes et d’y étouffer l’insurrection dans son foyer. Au reste, il n’y avait rien dans cette révolte qui méritât l’intérêt de l’Europe. Croyez bien que la cause égyptienne, en Syrie, est celle de la civilisation, quelque violens que soient les moyens employés pour la faire triompher. Il s’agit, en effet, pour Ibrahim-Pacha, d’y maintenir l’ordre, la sécurité des communications, une administration vigilante, bien que rigoureuse, un régime militaire assez dur, mais indispensablement nécessaire pour triompher de tous les élémens d’anarchie qui s’étaient, pour ainsi dire, naturalisés dans les pachalicks de Saint-Jean-d’Acre, de Damas et de Tripoli. Toutes les fois que les anciennes habitudes d’insubordination et de brigandage y relèvent la tête, c’est un malheur pour l’agriculture, le commerce, la civilisation, dont ces tentatives interrompent les progrès. Voilà comment il faut juger, à mon avis, des remuemens pareils à ceux des Druses, qu’ils soient en rapport, ou non, avec les secrets desseins du sultan. Et si, comme le pense Mehémet-Ali, les instigations de la Porte ottomane ne sont pas étrangères à ces insurrections, nous ne voyons pas ce que le divan peut y gagner, puisqu’il est certain que le pacha d’Égypte est assez fort pour les vaincre, et qu’il y puise de nouveaux motifs pour agiter à son tour l’empire ottoman, pour refuser le paiement du tribut, pour murmurer le terrible mot d’indépendance.

Avec tout cela, les puissances intéressées au maintien du statu quo en Orient ne peuvent se flatter d’avoir obtenu de Méhémet-Ali autre chose qu’un ajournement. La question demeure entière entre le sultan et lui. L’armée