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détestaient entre eux. On allait jusqu’à dire que le duc et le marquis qui ne partageaient point les passions fougueuses du cardinal, effrayés par ses excès, étaient allés jusqu’à les dénoncer au pape leur oncle.

Au milieu de l’horreur de cette profonde disgrace, il arriva une chose qui, pour le malheur de la duchesse et de Capecce lui-même, montra bien que, dans Rome, ce n’était pas une passion véritable qui l’avait entraîné sur les pas de la Martuccia.

Un jour que la duchesse l’avait fait appeler pour lui donner un ordre, il se trouva seul avec elle, chose qui n’arrivait peut-être pas deux fois dans toute une année. Quand il vit qu’il n’y avait personne dans la salle où la duchesse le recevait, Capecce resta immobile et silencieux. Il alla vers la porte pour voir s’il y avait quelqu’un qui pût les écouter dans la salle voisine, puis il osa parler ainsi :

« Madame, ne vous troublez point et ne prenez pas avec colère les paroles étranges que je vais avoir la témérité de prononcer. Depuis long-temps je vous aime plus que la vie. Si, avec trop d’imprudence, j’ai osé regarder comme amant vos divines beautés, vous ne devez pas en imputer la faute à moi, mais à la force surnaturelle qui me pousse et m’agite. Je suis au supplice, je brûle ; je ne demande pas du soulagement pour la flamme qui me consume, mais seulement que votre générosité ait pitié d’un serviteur rempli de défiance et d’humilité. »

La duchesse parut surprise et surtout irritée :

« Marcel, qu’as-tu donc vu en moi, lui dit-elle, qui te donne la hardiesse de me requérir d’amour ? Est-ce que ma vie, est-ce que ma conversation se sont tellement éloignées des règles de la décence, que tu aies pu t’en autoriser pour une telle insolence ? Comment as-tu pu avoir la hardiesse de croire que je pouvais me donner à toi ou à tout autre homme, mon mari et seigneur excepté ? Je te pardonne ce que tu m’as dit, parce que je pense que tu es un frénétique ; mais garde-toi de tomber de nouveau dans une pareille faute, ou je te jure que je te ferai punir à la fois pour la première et pour la seconde insolence. »

La duchesse s’éloigna transportée de colère, et réellement Capecce avait manqué aux lois de la prudence ; il fallait faire deviner et non pas dire. Il resta confondu, craignant beaucoup que la duchesse ne racontât la chose à son mari.

Mais la suite fut bien différente de ce qu’il appréhendait. Dans la solitude de ce village, la fière duchesse de Palliano ne put s’empêcher de faire confidence de ce qu’on avait osé lui dire à sa dame d’honneur