Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/542

Cette page a été validée par deux contributeurs.
538
REVUE DES DEUX MONDES.

bataille. L’histoire pour laquelle je réclame toute l’indulgence du lecteur montre une particularité singulière introduite par les Espagnols dans les mœurs d’Italie. Je ne suis point sorti du rôle de traducteur. Le calque fidèle des façons de sentir du XVIe siècle, et même des façons de raconter de l’historien qui, suivant toute apparence, était un gentilhomme appartenant à la malheureuse duchesse de Palliano, fait, selon moi, le principal mérite de cette histoire tragique, si toutefois mérite y a.

L’étiquette espagnole la plus sévère régnait à la cour du duc de Palliano. Remarquez que chaque cardinal, que chaque prince romain avait une cour semblable, et vous pourrez vous faire une idée du spectacle que présentait en 1559 la civilisation de la ville de Rome. N’oubliez pas que c’était le temps où le roi Philippe II, ayant besoin pour une de ses intrigues du suffrage de deux cardinaux, donnait à chacun d’eux 200 mille livres de rente en bénéfices ecclésiastiques. Rome, quoique sans armée redoutable, était la capitale du monde. Paris, en 1559, était une ville de barbares assez gentils.

TRADUCTION EXACTE D’UN VIEUX RÉCIT ÉCRIT VERS 1566.

Jean Pierre Caffara, quoique issu d’une des plus nobles familles du royaume de Naples, eut des façons d’agir âpres, rudes, violentes et dignes tout-à-fait d’un gardeur de troupeaux. Il prit l’habit long (la soutane) et s’en alla jeune à Rome, où il fut aidé par la faveur de son cousin, Olivier Caffara, cardinal et archevêque de Naples. Alexandre VI, ce grand homme, qui savait tout et pouvait tout, le fit son cameriere (à peu près ce que nous appellerions, dans nos mœurs, un officier d’ordonnance), Jules II le nomma archevêque de Chieti ; le pape Paul le fit cardinal, et enfin, le 23 de mai 1555, après des brigues et des disputes terribles parmi les cardinaux enfermés au conclave, il fut créé pape sous le nom de Paul VI : il avait alors soixante-dix-huit ans. Ceux même qui venaient de l’appeler au trône de saint Pierre frémirent bientôt en pensant à la dureté et à la piété farouche, inexorable, du maître qu’ils venaient de se donner.

La nouvelle de cette nomination inattendue fit révolution à Naples et à Palerme. En peu de jours Rome vit arriver un grand nombre de membres de l’illustre famille Caffara. Tous furent placés ; mais, comme il est naturel, le pape distingua particulièrement ses trois neveux, fils du comte de Montorio, son frère.

Don Juan l’aîné, déjà marié, fut fait duc de Palliano. Ce duché, enlevé à Marc-Antoine Colonna, auquel il appartenait, comprenait