Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/534

Cette page a été validée par deux contributeurs.
530
REVUE DES DEUX MONDES.

Voilà les innovations qui ont été regardées comme monstrueuses par tous les conseils et rejetées par chacun d’eux à l’unanimité, quelquefois même après une simple discussion de principes et sans qu’on ait pénétré dans le détail des articles proposés. Les argumens ont été les mêmes partout ; cela devait être, sauf quelques variations légères.

Généralement, on a attaqué les projets sur le pécule et le rachat comme plus subversifs que l’émancipation elle-même, l’émancipation en masse, qui apporterait nécessairement avec elle une indemnité évaluée sur le nombre total des esclaves, tandis que, dans le système d’affranchissemens partiels, au moyen du pécule légal et du rachat forcé, les meilleurs noirs, devenant libres les premiers, abandonneraient les ateliers à un affaiblissement irrémédiable. On s’est jeté dans de singuliers calculs pour estimer le prix de rachat qu’il conviendrait de demander à un esclave d’élite, en vue du préjudice indirect que sa libération isolée pourrait ainsi porter au maître. Sur 150 esclaves, il ne faut compter qu’environ 50 ou 60 travailleurs, a-t-on dit sans s’inquiéter de la preuve ; le reste se compose d’enfans, de vieillards, d’infirmes. Même sur les 50 travailleurs, il n’y a que 20 individus de premier ordre, sur lesquels repose la force de l’atelier, et, s’ils se rachètent, l’atelier est perdu. Il faudrait donc, pour bien faire, soumettre ces 20 privilégiés à une rançon, pour tous ensemble, de 5 à 600,000 fr., ce qui ferait ressortir la contribution de chacun d’eux à 25 ou 30,000 fr. Ou si les maîtres, une fois en train de concessions, voulaient bien admettre que la force de leur habitation se répartit sur les 50 ou 60 travailleurs dont il s’agissait tout-à-l’heure, ce ne serait plus pour le rachat de chacun de ceux-ci qu’une moyenne de 10,000 fr. ou quelque chose de plus. — Voilà donc avec quelle franchise des colons mal inspirés se défendent parfois et avec quel art ils savent grouper les chiffres. Cela mérite-t-il d’être réfuté ? Certes, nous convenons que l’application du mode de rachat forcé, sous des conditions raisonnables, ne laisserait sous l’autorité des maîtres, dans un temps donné, que le caput mortuum de l’esclavage. Mais qui vous dit que le gouvernement de la métropole attendra l’expiration de ce délai et l’épuisement de cette première expérience ? Ne viendra-t-il pas y ajouter sa propre force, quand il verra qu’on s’est mis en marche sans lui, et ne sera-t-il pas excité par mille voix à l’achèvement d’une entreprise déjà avancée, qui ne réclamera plus qu’une indemnité plus modérée, en rapport avec les vues économiques de notre parlement ?

Nous n’avons jamais pensé que les deux ordonnances, qui ont été