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pour trois cents journées. — La nourriture de l’esclave est évaluée, terme moyen, à 50 c. par jour, ou 182 fr. 50 c. par an.

Si nous considérions les noirs de Bourbon, d’après leur condition intellectuelle et morale, encore bien peu avancée, nous arriverions facilement à conclure que l’émancipation générale s’y fera attendre plus long-temps que dans les autres colonies, et cela par la nature des choses qu’il faudrait changer d’abord pour arriver à un résultat satisfaisant. En effet, ce sont, en majorité, des esclaves cultivateurs, courbés sur la terre et enfermés dans un étroit horizon que leur grossière intelligence ne franchirait pas si on ne la stimulait ; de plus, ils appartiennent principalement à la race mozambique, la plus vigoureuse pour supporter le rude labeur des champs sous le tropique, mais aussi la plus brute ; il suit de là qu’aucune alliance, dans une pensée commune de libération, n’est possible entre eux et les autres noirs d’origine différente, qui s’estiment assez haut placés apparemment pour les accabler d’un singulier mépris ; enfin, ces informes cultivateurs, ainsi refoulés de plusieurs côtés dans leur servitude dégradante, proviennent en grand nombre de la traite illégale qui s’était continuée impunément, à l’île Bourbon plus qu’ailleurs, jusqu’à ces dernières années, et ils sont loin d’avoir dépouillé, en un temps si court et si mal employé, la barbarie primitive de leur race et de leur pays. Mais, malgré tant d’influences faites pour retarder l’émancipation, le seul voisinage de l’île Maurice suffit peut-être pour qu’on prophétise l’abolition prochaine de l’esclavage à l’île Bourbon. Il y a entre ces deux colonies de fréquentes relations, en dépit de la guerre qui a placé l’une d’elles sous la domination anglaise, et en dépit même des efforts que l’on tente, dans celle qui est restée française, pour entraver entre deux terres si voisines la communication des voyageurs et l’échange des idées. On ressent à Bourbon toutes les conséquences prochaines de l’exemple donné par Maurice, qui, à vrai dire, après avoir résisté énergiquement aux premières manifestations de la réforme, annoncée par un homme imprudent et absolu, M. Jérémie, a accepté ensuite l’abolition de l’esclavage sincèrement, sans arrière-pensée, même avec une sorte d’unanimité électrique, lorsqu’elle a compris l’équité et l’urgence de ce grand acte. Maintenant, beaucoup de colons de cette île sans esclaves en sont venus à faire presque de la propagande, au profit des théories abolitionistes que la pratique a déjà si bien confirmées chez eux, quoi qu’on ait dit. Une fois convertis, ils veulent convertir les autres